595ème semaine politique: Make Jupiter great again

Publié le 29 septembre 2018 par Juan

Où l'on apprend que Jupiter est champion de la Terre; qu'il a besoin d'"aide". Et même qu'il "s'excuse". 

(Et aussi qu'il choisit lui-même les procureurs de la République).


Make Jupiter great again
"Quand on a appris qu'Emmanuel Macron allait recevoir ce prix (...), on est un peu tombés de notre chaise" a sobrement expliqué Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France. Il y avait de quoi être surpris.
Il y avait même de quoi suffoquer.
Trois semaines après la démission tonitruante du ministre Nicolas Hulot, qui dénonçait publiquement l'inaction de Macron en matière de protection environnementale, le directeur du Programme des Nations unies de l’environnement (PNUE) décerne une médaille de "Champion de la planète" à un échantillon de responsables politiques dont Emmanuel Macron.
Sans rire.
Bien sûr, Macron fut habile, avec ses "One Planet Summits" (décembre 2017 puis septembre 2018) dédié à la "finance verte" (sic!) avec paillettes et selfies, son slogan "Make our Planet great again", ces clichés où il plante un arbuste dans le jardin de la Maison Blanche. Habile aussi avec la multiplication de comités Théodule pour "habiller" l'inaction. Habile enfin à ré-utiliser le langage inquiet et les constats parfois virulents des écologistes et des scientifiques sur les dégradations irréversibles subies par la planète. Qui sait nommer les maux devrait vouloir guérir. Et pourtant... La liste des renoncements et compromissions permet de dresser le portrait d'un homme cynique et l'échec d'une politique inefficace en matière d'écologie.
Depuis juin 2017, la liste des renoncements et trahisons écologistes est déjà longue:
  1. Le report de la dénucléarisation de l'énergie française : Hollande avait fait quelques pas. Macron a repris le flambeau nucléariste que brandissait Sarkozy il y a 10 ans. avec cette dangereuse priorité donnée aux EPR, super-centrales qui sont des gouffres financiers et mal sécurisées, ou le redémarrage, début avril 2018, du réacteur numéro 2 de la centrale de Fessenheim.
  2. L'adoption du CETA l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada le 21 septembre 2017;
  3. Le report de tous les objectifs de la loi de transition énergétique votée sous François Hollande. En 2017, la France était pourtant déjà en retard (7% d'émissions de gaz à effet de serre en trop).
  4. L'affaiblissement du rail, via sa privatisation à compter de 2019, avec l’abandon de certaines lignes dans les territoires et la mise en concurrence du fret ferroviaire et la priorité donnée aux transports par car.
  5. Le silence sur la mise en œuvre d'engagements récents comme la neutralité carbone des budgets public (annoncée en décembre 2017, tue en septembre 2018) ;
  6. La tentative de légitimation de la compatibilité écologique du modèle productiviste, financier et capitaliste avec la défense de la planète.
  7. La validation de multiples initiatives locales qui sont ou seront des désastres écologiques - comme le site d'enfouissage des déchets radioactifs de Bure ou la mine de la Montagne d'or en Guyane, premier chantier soutenu par le nouveau ministre de Rugy dès sa nomination. L'interdiction de l'aéroport de Notre-des-Landes n'a pas empêché la traque des zadistes locaux.
  8. Le soutien à l'agro-industrie via l'irresponsable loi "Agriculture et alimentation" qui précéda de peu la démission de Hulot, qui sanctuarise la non-interdiction du glyphosate, le maintien des pratiques brutales dans la production animale (castration à vif, broyage de poussins vivants), ou le maintien de l’épandage aérien des pesticides.
  9. La privatisation des barrages hydroélectriques (10 % à 12 % de la production d’électricité en France) qui menace la gestion de l'eau;
  10. La réduction des moyens du ministère de l'Environnement (-1000 postes);
  11. La suppression de la protection contre les antennes-relais dans la loi Elan.

Bref, Docteur Jupiter joue aux écolos sur les tribunes étrangères avec autant d'énergie que Mister Macron soigne les lobbies anti-écologistes et maintient le statu-quo. La politique macroniste en matière de défense de l'environnement est un habillage.
Le projet de budget 2019 en est une nouvelle illustration. Dans son dossier de presse, le gouvernement promet d' "accélérer la transition écologique en mobilisant tous les leviers, budgétaires, fiscaux et réglementaires." Vraiment ? Jugez plutôt. Les mesures les plus fortes portent sur les voitures avec une hausse de 1,3 milliards d'euros de la fiscalité énergétique, pour l'essentiel aux détriments des ménages modestes, et une augmentation à 570 millions d'euros des aides à la reconversion des véhicules polluants. Mais pour le reste, ... les ambitions sont modestes, le renoncement est manifeste. Nicolas Hulot ministre promettait le financement de 500 000 rénovations énergétiques de bâtiments par an, ce chiffre s'effondre à 75 000 en 2019. Le gouvernement reconvertit aussi le chèque énergie en argument de transition écologique - "l’État va accentuer les moyens consacrés à l’accompagnement des citoyens les plus fragiles dans la transition écologique. En particulier, le chèque énergie sera fortement augmenté en 2019, à hauteur de 50€, pour atteindre 200€ en moyenne." En réalité ce dispositif a été lancé en mars dernier pour compenser partiellement la suppression des tarifs sociaux du gaz et de l'électricité.
La belle arnaque ...
Champion... des riches
6 milliards ! Quel cadeau ! Ministres et porte-paroles répètent la bonne nouvelle de ce projet de budget 2019, quelque 6 milliards d'impôts seront "rendus" aux ménages l'an prochain. Il faut faire croire que cette présidence des riches n'est pas. Il faut convaincre que la Macronista est équilibrée. Il faut faire oublier que la première année du quinquennat a fait trébucher la croissance.
La réalité est comme souvent bien différente.
Primo, n'oublions pas qu'il n'y a plus grand chose à "rendre" aux plus riches, puisque la taxation des revenus financiers est désormais rabaissée et plafonnée (flat tax à 30%), l'ISF supprimée, et même la taxe d'habitation leur sera épargnée. Au total, environ 5 milliards d'euros d'économies d'impôts chaque année ont été votées et mises en place dès la première année du quinquennat , 5 milliards dont nous n'entendrons plus parler, évidemment, puisqu'ils sont derrière nous.
Sur les nouveautés budgétaires pour 2019, le Haut Conseil des Finances Publiques, qui n'est pas un repère d'insoumis, loin s'en faut, s'est ému de quelques points. Dans un avis publié le 19 septembre sur les projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l’année 2019, il s'étonne d'abord des mauvais résultats économiques de la France en 2018: certes, le ralentissement de la croissance en 2018 n'est pas que français. Mais "en France, le ralentissement a été plus prononcé que pour la moyenne de la zone euro avec une croissance limitée à 0,2 % pour chacun des deux premiers trimestres 2018". Cet écart, note-t-il, "porte essentiellement sur les dépenses des ménages, en particulier la consommation qui a stagné en France au cours du 1er semestre (+ 0,1 %) alors qu’elle continuait d’augmenter à un rythme proche de 1,5 % l’an dans la zone euro". Et il porte le coup de grâce, qui devrait faire frissonner la Macronista: "ceci pourrait s’expliquer notamment par les effets de la mise en œuvre de mesures fiscales qui ont pesé sur le pouvoir d’achat des ménages (augmentation de la CSG non totalement compensée sur la période par la baisse des cotisations salariales, hausse des taxes sur le tabac et les produits pétroliers)."
"Votre raisonnement, alors, c’est-à-dire le raisonnement que l’on nous serine depuis quarante ans, c’est : on va faire grossir le gâteau,  comme ça, les pauvres auront plus de miettes, les riches auront un plus gros morceau et tout le monde sera content.
C’est une imposture. C’est une escroquerie." François Ruffin à l'Assemblée nationale, 26 septembre 2018.

Le ruissellement ne fonctionne pas, ni sous Sarkozy ni sous Macron. Comme Sarkozy, Macron creuse le déficit public  - à 99 milliards d'euros contre 85 milliards en 2016 - à cause d'une politique anti-sociale et contreproductive. A cause des baisses d'impôts (0,2 point de PIB), le Haut Conseil s'inquiète que "la trajectoire de finances publiques définie par cette loi s’écarte des engagements européens de la France".
Le "cadeau" de Jupiter aux ménages n'est pas de 6 milliards d'euros en 2019, pas même 2 milliards. L'OFCE évoque effectivement une amélioration du pouvoir d'achat de 1,7 milliards d'euros (à comparer, encore une fois, avec l'ampleur des cadeaux consentis à quelques centaines de milliers de foyers aisés). La défiscalisation des heures supplémentaires, la bascule de cotisations en CSG (- 4,2 Md€), et la baisse de la taxe d’habitation (- 3,8 Md€) est amputée de la hausse de la fiscalité énergétique (3 Md€) et du tabac (1,3 Md€) et du relèvement des cotisations Arrco-Agirc (1,9 Md€). Ces 1,7 milliards de gain de pouvoir d'achat seront également, par construction, plus importants pour les salaires les plus riches.
Pire encore, les ménages les plus économiquement contraints subiront les effets directs ou indirects d'autres mesures d'économies sur le budget de l’État qui vont affecter leur quotidien: le gouvernement a beau jeu de mettre en valeur les quelques 2 milliards de dépenses redéployées vers le plan Pauvreté (8 milliards d'ici 2022), mais la Sécurité sociale devra économiser 4 milliards. Les aides au logement (- 1,2 Md€) et les contrats aidés (- 2,1 Md€) seront réduits également. Les retraites et les prestations sociales (hors minimum vieillesse et allocation aux adultes handicapés) sont quasi-gelées. L'Éducation nationale va perdre 1800 postes. Les services fiscaux, 2300 (alors que l'évasion et la fraude fiscales n'ont jamais été aussi importantes); l’Environnement 1100; la Santé (500).
La baisse du coût du travail ne "ruisselle" pas en créations d'emplois, bien au contraire. Et pourtant, le gouvernement s'obstine. 
Le CICE est un échec, mais Macron le pérennise. Le CICE a permis de "soutenir les créations d'emplois" "de l’ordre de 100000 emplois créés ou sauvegardés sur la période 2013-2015"... une paille alors que le CICE a englouti 62 milliards d'euros sur la même période . A compter du 1er janvier 2019, il sera transformé en un nouvel allégement de cotisations sociales. Ensuite, le projet de loi PACTE prévoir de réduire d’environ 500 M€ les cotisations sur la masse salariale pour les entreprises dont les effectifs se situent entre 20 et 50 salariés. Enfin, la défiscalisation des heures supplémentaires est la dernière fausse bonne idée pour abimer l'emploi et les embauches (pour un coût de 2 milliards d'euros environ.
Make Jupiter great again (bis)
Quand on a appris qu'Emmanuel Macron, en déplacement aux Antilles, faisait son mea culpa et qu'il demandait aux "journalistes, populations, élu(e)s" de l'aider, on est un peu tombés de notre chaise.
Avant de partir, d'un coup de stylo, Jupiter avait rayé les noms de trois candidats au remplacement du procureur de Paris François Molins, un signe d’interventionnisme direct de l'Elysée assez inédit et décomplexé. L'arrogance jupitérienne dans toute sa splendeur. Donc le petit cirque touristique et médiatique organisé aux Antilles pour montrer un jeune monarque "cool" en bras de chemises, allant aux devant des populations d'île en île, fait sourire.
Il aurait fallu oublier qu'en France, son gouvernement refusait encore une fois l'accueil d'une poignée de migrants transportés par l'Aquarius.
En Bretagne, Hollande pilonne Macron et son mépris de classe. A Lille, la maire Martine Aubry fusille à distance lors de sa conférence de rentrée où elle pilonne Macron et son mépris de classe:
"Quand on est président de la République, comment peut-on dire aux Français que ce sont des fainéants, qu’ils n’ont qu’à traverser la rue pour trouver du boulot, dire “va t’acheter un costard”, ou “le pognon de dingue pour les pauvres” ?" Martine Aubry, 28 septembre 2018.

Mais aux Antilles, le jeune monarque veut prouver qu'il a "compris" pourquoi il est si impopulaire. "Le président a décidé de changer" promet Le Monde. "Il a pêché, il se repent" complète le Figaro.  Les conseillers élyséens partagent les éléments de langage aux journalistes accrédités, lesquels doivent ensuite relayer le message de changement: Jupiter est devenu humble, compatissant, presque social: "je prends le temps d'aller au contact, d'expliquer, de parler aux gens quand ils ne sont pas d'accord." Il se frotte, il se confronte, il se précipite sur chaque passant, certains parfois s'écartent, agacés.
La démarche est grossière, et ne trompe pas grand monde.
Cette bêtise bourgeoise s'accompagne d'une arrogance naturelle qui reprend vite le dessus.

Un journaliste: "'Gaulois réfractaire', ça a été très mal compris ça..."
Macron: "Oui, mais c'était une erreur, et je l'assume."
Le  journaliste: "Une erreur de votre part ?"
Macron: "Non, une erreur de l'avoir réduit comme cela car cela entretient justement toute ces confusions."

Ami(e) macroniste, ne t'excuse pas.