De ma cachette où je me consacre à l’écriture d’un nouveau roman dont la sortie est prévue en 2019, voici, en rafale, un aperçu de mes lectures de ma première semaine de retraite fermée.
Je vous parle en premier de ma dernière lecture parce que j’aurais peur que vous ne vous rendiez pas au bout de cet article et que vous manquiez cette information. Je vous l’assure, La bête à sa mère n’est pas un livre banal.
Goudreault nous plonge dans un univers sordide, celui de l’alcool, du jeu et de la drogue, celui de la délinquance sévère qui mène au crime organisé (son rêve) ou à la prison. Ou aux deux. Et Gaudreault nous en parle en connaissance de cause, étant lui-même un rescapé de ce monde obscur et désespéré.
L’histoire est dure, presque insoutenable par moments. Un enfant de familles d’accueil, familles au plus-que-pluriel, atteint enfin sa majorité (en chiffre, mais non en maturité) et part à la recherche de la mère suicidaire à qui les services sociaux l’ont un jour arraché. Sa quête parsemée de délits plus ou moins graves le mènera à Sherbrooke où il croit avoir enfin retrouvé la mère perdue et idéalisée. Repoussant sans cesse la rencontre, notre héros (dont ne je suis pas certaine d’avoir lu le prénom) obtient un emploi à la SPA, son premier emploi salarié à vie (et son dernier, il a plus d’ambition que ça), et continue d’accumuler les forfaits, comme un cheminement obligé vers son acceptation dans un groupe criminalisé de prestige.
J’avoue que sans l’humour féroce et la sensibilité à fleur de peau de l’auteur, j’aurais peut-être décroché tant sont implacables les rouages qui mènent à sa perte ce jeune homme à la fois candide et cruel, déconnecté de la réalité, se fabriquant un univers sur mesure pour supporter la misère psychologique à laquelle son parcours l’a condamné.
On entretient plein de préjugés envers les criminels. C’est n’importe quoi, tous envient nos vies palpitantes. La moitié des films et des livres nous concernent. Toute une industrie prospère autour des séries télévisées sur nous. C’est hypocrite de nous juger, ensuite. Sans compter que les criminels sont probablement les plus grands justiciers. C’est vrai. La majorité, voire la totalité des criminels ont eux-mêmes été victimes d’injustices ou de sévices. Ils redistribuent. Ils reprennent leur part. Il faudrait le reconnaître au moins.
Intelligent, fidèle au raisonnement tordu des délinquants de tout acabit.
David Goudreault, c’est une plume, qu’on se le dise! Un poète. Un gars un peu génial. Sachez qu’il a remporté à Paris, en 2011, la Coupe du monde de slam de poésie au terme d’une joute verbale avec les 16 meilleurs slameurs (francophones, j’imagine) au monde. Une petite visite à son site vous en donnera un échantillon. J’ai eu la chance de la voir en spectacle lors des Correspondances d’Eastman, cet été, et le talent de ce jeune homme m’a littéralement soufflé.
Daniel Grenier, La solitude de l’écrivain de fond, 2017, le Quartanier, 89 pagesLe court essai de Daniel Grenier reprend, en le traduisant, le titre d’un ouvrage d’un écrivain américain, Wright Morris, aussi productif que méconnu. Deux sensibilités qui se rencontrent. En écho aux textes de Morris, Grenier réfléchit ici sur l’art de la fiction et sur ce qui pousse un écrivain à inventer des mondes. Intéressant.
Lydie Salvayre, Portrait de l’écrivain en animal domestique, 2007, Seuil, 235 pages
Je vous l’avoue d’entrée de jeu, je n’ai pas terminé la lecture de cette fiction déjantée et grinçante. Une écrivaine qui croit en son génie, mais qui se retrouve malgré tout désargentée, se met au service d’un multimilliardaire souhaitant publier son évangile, comprenez ses préceptes de gestion et de vie qui l’ont mené à ces sommets de fortune. L’homme est purement odieux et non sans ressemblance à un certain roi de l’immobilier parvenu au sommet du pouvoir. Pourtant même si j’ai l’impression que Salaire y dépeint cet homme honni entre tous, il n’en est rien puisqu’en 2007, la catastrophe qui s’est abattue sur les États-Unis en 2016 était encore tout à fait inimaginable. Le sujet a donc de l’intérêt, la plume de Salvayre est acérée et inventive, mais à mi-bouquin, et même avant, je me suis lassée de cet univers putride, de dominant dominé.
Je ne dis pas que le livre de l’auteur (prix Goncourt de 2014) est mauvais pour autant. Question de sensibilité, encore une fois.
Lisa Gardner, Le saut de l’ange, 2017, Albin Michel, 471 pagesCelui-là, je l’ai lu en deux jours, mais je ne vous en ferai pas l’éloge pour autant. Ce polar nous captive assez rapidement et on veut en connaître le dénouement au plus vite, dénouement par ailleurs décevant, tiré par les cheveux.
En gros, c’est l’histoire d’une jeune femme plus ou moins amnésique et qui subit en l’espace de 6 mois, trois accidents lui causant une commotion cérébrale. Ces commotions semblent avoir pour effet de raviver ses souvenirs que son mari préférerait garder dans l’oubli. Dès le départ, le mari est le suspect no 1, mais les choses se complexifient à mesure que le passé refait surface et que les indices recueillis par la police éclairent (ou embrouillent) l’affaire. Dans l’ensemble, le procédé est efficace et addictif, mais pour une habituée des maîtres du genre (Lehane, Connely, Nesbo, Mankell, etc.), Le saut de l’ange finit par décevoir.