Beautiful Badness ou le spleen d'un enfant des nineties, celui de Gabriel Sesboué, songwriter installé à Bruxelles et chanteur à la voix d'ange, habité par ses héros pop tels qu'Anthony and The Johnsons ou Rufus Wainwright, marqué par les structures complexes de Queen et Archive et les classiques romantiques (Berlioz, Camille Saint Saëns...) qu'il apprit sur les touches noires et blanches.
Après un 1er EP qui lui ouvrit les portes des radios, TV et festivals belges (Nuits Botaniques notamment), Beautiful Badness dévoile un 1er album où les basses lourdes et résolument électro nous rappellent que nous sommes toujours en 2018.
Pour faire revivre cette époque glorieuse où les réseaux sociaux se résumaient à des forums sur lesquels des passionnés s'échangeaient les bootlegs du dernier groupe découvert sur Napster, Beautiful Badness s'est replongé dans les racines de la musique alternative des années 90 et 2000 : donnant sa propre interprétation du genre, il reprend puis étire à l'extrême les éléments de langage (musical) qui dominaient à l'aube du XXe siècle, de la pop lyrique d'Anthony & The Johnsons ou de Rufus Wainwright, aux expérimentations électro de Radiohead, en passant par les structures complexes du rock progressif de Queen ou d'Archive. Et pour lier tout cela, Beautiful Badness puise à son tour dans la musique des classiques romantiques, tels que Berlioz, Fauré ou Camille Saint Saëns. Faisant le choix radical de n'utiliser que des claviers, sa musique se construit autour de rideaux d'arpèges et de polyphonies vocales qui se superposent pour se rassembler en un climax.
Au-dessus de l'océan de notes, sa voix de tête s'envole pour aller chercher les souvenirs idéalisés d'un passé analogique révolu. Mais Beautiful Badness ne quitte jamais complètement le présent : en contre-pied de ses mélodies éthérées, les basses lourdes et résolument électro agissent comme des interférences pour nous rappeler que nous sommes toujours en 2018 et que le monde a bien changé depuis " OK Computer ".
" Rewind " n'est pas son coup d'essai. Originaire de Lyon, Gabriel s'est installé à Bruxelles en 2010.
A son arrivée, il y découvre une scène rock bouillonnante et bien moins élitiste que de l'autre côté de la frontière. L'effervescence et la simplicité de cette nouvelle famille musicale lui donnent l'envie d'expérimenter pour trouver la formule magique qui lui permettra de créer une musique ambiguë où se mêlent joie exaltée et nostalgie profonde. En découvrant Agnes Obel et An Pierlé, il comprend que la réponse se trouvait devant lui depuis longtemps : plutôt que de se cantonner à la musique rock, il décide de puiser dans ses profondes racines classiques, qui lui viennent à la fois de ses parents et de la chorale qu'il a rejointe en arrivant en Belgique. Après un premier EP éponyme en 2012, il enregistre en 2014 le titre " A sunny morning " dans le studio d'enregistrement d'An Pierlé, en utilisant un vieil harmonium du XIXe siècle. Il joue la chanson pour la première fois en première partie de BirdPen, projet parallèle de Dave Pen, un des chanteurs d'Archive : le public s'enthousiasme. Ce single lui ouvre les portes des télés et radios belges, ainsi que celle des Nuits Botaniques, festival baromètre de la scène indépendante en Belgique. Mais Beautiful Badness veut pousser le concept plus loin encore. Se débarrassant de la traditionnelle formation guitare / basse / batterie, il se plonge dans l'univers des synthétiseurs et utilise sa voix comme instrument à part entière, montant et descendant les octaves pour superposer différentes tonalités et différentes textures. Ce concept atteint son zénith dans la chanson " Silent & Still ", enregistrée entièrement a cappella, détail que l'entrelacement magistral des voix nous ferait presque oublier. " Rewind " s'écoute comme une ode à un monde qui semblait moins complexe : les nombreuses influences assumées s'y mélangent dans une fresque épique, lyrique, grandiloquente qui cherche l'originalité sans se détourner de la beauté. Les mélodies simples se décuplent en écho pour créer un monument hommage au spleen. Et entre ses murs, mille voix résonnent, qui s'unissent pourtant au sein d'une seule et même entité singulière : celle de Beautiful Badness
" Rewind " s'écoute comme une ode à un monde qui semblait moins complexe : les nombreuses influences assumées s'y mélangent dans une fresque épique, lyrique et grandiloquente.
Un hoodie jaune, la bande magnétique d'une cassette audio emmêlée dans ses paumes ouvertes comme en prière : le ton est donné. Beautiful Badness, a.k.a Gabriel Sesboué, a la tête dans les nineties. Avec un falsetto parfait taillé par ses écoutes obsessionnelles de Jeff Buckley, il chante sur " Rewind " les tourments d'un jeune trentenaire désemparé devant un monde dont les sourires placardés sur Instagram n'ont plus l'authenticité de ceux de son enfance, mais dans lequel il doit apprendre à être adulte. Entrelaçant cordes et voix dans des phrases musicales qui ne cessent de se répondre, Beautiful Badness fait remonter à dessein les lames de fond de sa nostalgie, ces vagues du passé qui nous submergent quand le présent nous déconcerte. Exemple parfait, sa reprise du générique de Friends, " I'll be there for you ", remplace la mélodie originale sautillante par des notes de piano oniriques, pendant que les basses grésillent comme une télé cathodique cassée. Le clip qui l'accompagne enfonce le clou de ce Friends à la sauce " Black Mirror " : le groupe d'amis et le canapé sont là, mais le Central Perk est devenu une app où l'amitié s'échange contre des cookies indiscrets, paradoxe d'un temps où le troc des données privées permet d'obtenir l'intimité dont nous manquons.