Mon père fabriquait
des bateaux en allumettes
des bateaux avec trop de voiles
et avec trop de canons
beaux parce qu’ils n’étaient
métaphore de rien.
Il était assis par terre
la gueule au-dessus
du chantier malléable
de son art biscornu
massacrant des allumettes
qu’il séchait et collait
à un squelette d’air.
Comme il était content
d’insuffler la respiration
dans les os d’un bateau
privé d’océans à imaginer.
Fiammiferi
Mio padre fabbricava
navi di fiammiferi
navi con troppe vele
e con troppi cannoni
belle perché non erano
metafora di niente.
Stava seduto a terra
con il broncio sospeso
sul docile cantiere
della sua arte sghemba
massacrando fiammiferi
che asciugava e incollava
a uno scheletro d’aria.
Come era contento
di soffiare il respiro
negli ossi di una nave
priva di oceani da immaginare.
/
Premiers volumes
Ils vieillissent bien
dans leur imposture
les premiers volumes
uniques et dépareillés:
encyclopédies, histoires
de la littérature italienne,
de l’Égypte ancienne, de la musique,
histoires universelles,
fragments de collections somptueuses
destinées à la poussière
dont mon père achetait
seulement le premier numéro.
Je regarde les étagères de la bibliothèque
bondées de A sans B,
de polars interrompus
avant que le coupable n’avoue,
d’histoires écrites par des vainqueurs réticents,
de biographies qui omettent les exils et les morts,
de romances sans apothéose
et je pense à combien
ces discours la gorge serrée
ressemblent aux miens.
Je pense à cette culture
bon marché et au souffle court
dont les moignons s’agitent
pour me faire un pied de nez
et je sais que les volumes que je n’ai plus revus
je ne les regretterai jamais comme l’escroquerie
de leurs compagnons solitaires
arrêtés pour toujours au chapitre premier.
Primi volumi
Invecchiano bene
nella loro impostura
i primi volumi
unici e scompagnati:
enciclopedie storie
della letteratura italiana
dell'antico Egitto della musica
storie universali
frammenti di collane sontuosissime
destinate alla polvere
di cui mio padre comprava
solo il primo numero.
Guardo gli scaffali della libreria
zeppi di A senza B
di gialli interrotti
prima che il colpevole confessi
di storie scritte da vincitori reticenti
di biografie che omettono esili e morti
di romanze senza do di petto
e penso a quanto
quei discorsi col nodo in gola
somigliano ai miei.
Penso a quella cultura
a buon mercato e dal fiato corto
coi moncherini che si agitano
per farmi marameo
e so che i volumi che non ho più visto
non li rimpiangerò mai come la truffa
dei loro compagni solitari
fermi per sempre al capitolo uno.
/
Réponse
Que fait mon fils
enterré dans sa chambre
s’il ne lit pas les bons livres ?
Il écoute les applaudissements des mites,
dessine des arabesques sur la fenêtre,
l’imagination creuse entre ses cuisses,
il se prend pour le petit roi du palier.
Je parlais ainsi à table, trempant
mes mots dans la sauce avec le pain
que j’avais gagné.
L’écho dans la maison
me donnait raison
ma femme me donnait le plat
et prêchait l’indulgence:
Il sera toujours un étudiant distrait
peu importe s’il a plus de trente ans.
Mon fils refusait à la vie
ne serait-ce qu’une seule goutte de sang
je ne comprenais pas pourquoi.
Alors j’agressais son silence
qui flambait grandissant
sur ses joues jusqu’aux pommettes.
Un jour je décidai d’entrer
dans sa chambre, dans cet abysse,
j’avais une lampe dans les mains,
tous les arguments sur le bout des doigts:
qu’il le veuille ou non
il répondrait à mes questions.
J’hésitai devant la porte,
serré contre le souffle dans la pénombre.
Je restai là, je n’entrai pas pour éviter de me blesser
contre la lame du battement
qui nous unissait à cette frontière.
L’entendre ronfler me réconfortait.
Risposta
Cosa fa mio figlio
infossato nella stanza
se non legge i libri giusti?
Ascolta il battimani delle tarme
disegna arabeschi sulla finestra
la fantasia lo fruga tra le cosce
si crede il piccolo re del pianerottolo.
Parlavo così a tavola, bagnando
le parole nel sugo con il pane
che mi ero guadagnato.
L’eco nella casa
mi dava ragione
mia moglie mi dava il piatto
e predicava indulgenza:
Sarà sempre uno studente distratto
non importa se ha più di trent’anni.
Mio figlio negava alla vita
anche una sola goccia di sangue
non capivo perché.
Allora aggredivo il suo silenzio
che cresceva in una vampata
sulle guance fino agli zigomi.
Un giorno decisi di entrare
nella stanza, in quell’abisso,
avevo una lampada in mano,
tutti gli argomenti sulle dita:
che lo volesse o no
avrebbe risposto alle mie domande.
Esitai davanti alla porta
stretto al respiro nella penombra.
Restai lì, non entrai per non ferirmi
alla lama del battito
che ci univa su quel confine.
Mi confortava sentirlo russare.
/
Les académies, les églises
Les académies, les églises, les lieux saints
me donnent toujours le même effroi.
Les voilà les yeux agrippés aux vitres
des panneaux d’affichage, leurs maximes
tourmentées par leurs souffles, les nuages
gonflés du zèle pour l’ora et labora
Sine sanguine humiliter
– la pellicule qui aspire
à l’épaule studieuse.
La lèvre rance de celui qui
n’enseigne ni n’apprend rien
ne sait lire que les nécrologies.
La même douleur, la rose
effeuillée dans le fond baptismal
le nœud papillon tremblant
sur la gorge blanche des enfants
en file pour la communion
avec leurs sexes qui écoutent en cachette
la fumée blanche, elle aussi,
des bonnes actions rendues au ciel.
La même plaie, l’homme
qui pleure une invocation
avec son caniche dévoré par la lumière
de la Chapelle des reliques.
Le accademie, le chiese
Le accademie, le chiese, i luoghi sacri
mi danno lo stesso sgomento.
Eccoli gli occhi aggrappati ai vetri
delle bacheche, le loro sentenze
martoriate dai fiati, le nuvole
gonfie di zelo per l’ora et labora
sine sanguine humiliter
– la forfora che ambisce
alla spalla studiosa.
Il labbro rancido di chi
non insegna né impara nulla
sa leggere solo i necrologi.
Lo stesso dolore, la rosa
sfatta nel fonte battesimale
il papillon tremante
sulla gola bianca dei bambini
in fila per la comunione
coi sessi che origliano
la fumata bianca, anche lei,
delle buone azioni rese al cielo.
La stessa ferita, l’uomo
che piange un’invocazione
col suo barboncino in bocca alla luce
della Cappella delle reliquie.
Canio Mancuso, Fiammiferi, Besa Editrice 2016. Traduit en français mais non encore édité sous le titre Allumettes par Solène Chrétien, Marie-Laure Weber, Stella Di Folco et Mattéo Renard, de l'Université de Lyon
Né à Melfi (Italie) en 1971, Canio Mancuso collabore au magazine littéraire “Fermenti”. En 2016, il a publié son premier recueil de poèmes — dont sont tirés les poèmes ci-dessus — : Fiammiferi (Allumettes) chez Besa Éditions, ainsi qu'une anthologie des poètes de la Daunia, en complicité avec le poète italien Raffaele Niro (chez le même éditeur). En 2018, son deuxième recueil, Il lato destro dell’armadio, a été publié chez l’éditeur Giuliano Ladolfi.