Le récit commence par un bref aperçu de ce qu’a été la vie de ce poète maudit : « Né le 9 avril 1821 à Paris, Charles Baudelaire est âgé de 6 ans lorsque succombe son géniteur (…) De ce drame personnel naîtra une poésie universelle » ; « Il n’a que 21 ans et vient de débuter Les Fleurs du mal, le parfum vénéneux des adolescences des siècles à venir ». « Il meurt en 1869 » (1) et voilà que le 18 janvier 2018 « Charles revient (…) à la vie, sous la forme d’un zombi syphilitique ». Mais personne ne le reconnaît. Personne ne s’y intéresse car « la misère étant désormais banale à Paris, les passants ne s’offusquent même pas de la présence de cet indigent. »
L’auteur dresse un portrait de la capitale moderne, de ses habitants toujours pressés et pleins d’excuses pour se défausser face à la misère humaine. Devant ce zombi poète qui « plante alors son visage dans une poche McDonald’s où un yorkshire vêtu d’un ciré vert fluorescent vient de déféquer », les parisiens s’horrifient, prennent peur. « Étrangers à ceux qui leur ressemblent, comment pourraient-ils s’intéresser à ce moribond ? Leur générosité s’exprime tout juste dans le charity business télévisé ou par une donation abstraite à une ONG. » La pauvreté a de multiples visages est lorsqu’elle « est saleté » elle décourage vite. « Il leur faut des pauvres affables, magnétiques ». Ils ignorent que ce débris infâme qu’ils « exècrent décrivit avec une acuité sans pareille l’individualisme qui gouverne leurs manières de citadins ».
Durant son court séjour parisien, il va chercher la Beauté et vouloir la toucher. Une adolescente dont « la beauté est parfaite parce qu’elle est le fruit d’une mue récente » fait frissonner ce pauvre corps zombifié. Il est parcouru par un élan de vie qui prend rapidement fin et le replonge dans ses ténèbres. Charles a faim et se jette sur le mollet d’un pauvre enfant provoquant « une salve d’indignation. » « Après s’être assurée que le gamin est à jour dans ses vaccinations, sans attendre la venue des autorités, la foule larde la face du paria à coups de pieds afin qu’il ne morde plus, et ses couilles afin qu’il ne se reproduise plus (…) Qui est le monstre à cet instant ? » Dès le xixe siècle, Charles Baudelaire, annonce ce qui frappera de plein fouet la condition humaine pour les siècles à venir : la joie (les victoires sportives et les piétinés des stades (…) la désinhibition et les passages à l’acte) ; la peur (la présence d’un groupe ennemi jugé plus fort, les attentats) ; la colère (les défaites sportives…). Il lui a suffi d’un seul vers pour décrire cette folie. La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Charles Baudelaire finira sa courte vie de zombie dans une banlieue où des hommes l’écoutent « psalmodier par-delà l’évidence de la mort ». Même mort, le poète apporte des réponses. « Du cadavre de Charles s’élève encore la voix (…) C’est La Voix de tous les indigents de la zone (…) C’est La Voix de tous les damnés de la ville (…) La Voix de tous les conjurés ». C’est un livre à lire et à relire qui ne peut nous laisser indifférent et qui invite le lecteur à (re)lire la poésie de ce brillant poète.
Alexandre Ponsart
1. Le texte indique 1869 comme année de décès. Or, il s’agit de 1867.
Éric Chauvier, Le Revenant, éditions Allia, 2018, 80 p.,, 7,50 €.