Du 29 septembre 2018 au 6 janvier 2019
Musée de la Photographie André VillersLes photographes Anne Favret et Patrick Manez travaillent ensemble depuis de nombreuses années. Depuis toujours pourrait-on dire. Leur aspiration première est de photographier l'espace urbain. Ils ont décidé de s'associer à Jean-Philippe Roubaud dans le cadre d'une série réalisée autour de Nice au sein de ces No humans' land très peu photogéniques se trouvant à la lisière d'une ville traditionnellement montrée sous des angles très séducteurs.
Ces clichés sont mis en perspective avec les dessins de Jean-Philippe Roubaud. Il propose de réaliser un prolongement ou d'accentuer un détail de certaines des photographies. Il entre dans le paradoxe. Sur certaines images, en forçant le trait, en noircissant la réalité, il imprime à l'espace cette veine humaine aussi absente que causale. En effet ces (non)lieux sont le fruit de décisions humaines et ont végété du fait de l'absence de toute activité. La nature n'a pu y reprendre ses droits pour et à nouveau se développer. Elle est restée figée ... comme une photographie.
Rendons-nous maintenant dans le quartier de l'Ariane. Au loin, ces grands ensembles immobiliers, abomination esthétique diront tous ceux qui savent apprécier les belles choses. Il est vrai que dans les années 60, une frénésie de construction caractérisa l'ensemble du territoire français. Le pays devait s'inscrire dans cette satanée modernité. Il fallait surtout loger au mieux la population issue du Baby-boom. La réflexion esthétique n'était pas à l'ordre du jour mais les contraintes existaient bel et bien. Dans le cas particulier des faubourgs niçois, c'est bien avec la contingence géographique qu'il a fallu composer en construisant sur les contreforts d'une zone accidentée.
Parallèlement à cette mise en commun, seront présentées les oeuvres personnelles de chacun de nos protagonistes .Europe Plan B, pour le binôme Favret&Manez, ou l'exploration des villes européenne dont le nom commence par la lettre B, chacune vue sous un angle particulier.
En 2009, ils ont eu l'idée de Europe, Plan B en référence au débat précédant le vote du Traité constitutionnel européen. Débat durant lequel les partisans du non argumentaient à l'aide d'une alternative d'un Plan B. Favret&Manez ont pris cette posture comme point de départ et ont sillonné bon nombre de villes européennes commençant par un B : Berlin, Bologne, Bruxelles, Birmingham. Ils ont photographié chacune de ses villes sous un angle particulier constituant la trame de leurs prises de vue.
Ainsi, Berlin étant une ville autrefois scindée en deux, ils ont décidé de présenter des diptyques mettant en scène la césure comme pour signifier l'existence de ce fameux mur. A Bologne, ville étudiante, les graffitis fleurissent. Ceux-ci firent l'objet de leur attention particulière. Bruxelles est une ville au sein de laquelle sont implantés beaucoup de commerces de proximité. Ouverts tard le soir, leurs lueurs émergent de la pénombre de cette ville prête à se mettre dans les bras de Morphée. Tels des papillons nos deux photographes ont décidé de tourner leurs objectifs vers ces sources lumineuses qui attirent naturellement notre regard. Birmingham de son côté, a pris un virage fulgurant et se lance dans l'aventure du secteur tertiaire, tournant le dos à l'industrie moribonde, ne souciant pas des vestiges de l'architecture Victorienne. Certains bâtiments d'époque tout de pierre vêtus, sont ainsi forcés d'accepter un mariage improbable, embrassés fougueusement par le verre et l'acier.
Jean Philippe Roubaud présente de son côté ses dernières interprétations des Polaroid du cinéaste Andrei Tarkovski. Il explique ce travail ainsi :
Ce sont des dessins directement issus de documents photographiques : des copies de Polaroïd pris par Andreï Tarkovski avant son départ de Russie et lors de son exil en Italie. Nous sommes face à des images étranges et mélancoliques très éloignées de l'hyper présence des choses de son travail de cinéma. Le sujet sont des éléments de repérage pour ses films ou des moment de sa vie privée, ils ont tous en commun un effet anti spectaculaire assez proche des " boring postcard " de Martin Parr. Cette série de dessins au graphite reproduit comme dans un geste de réappropriation ces photos passées à la photocopieuse. Elles jouent avec l'hyper réalisme et produisent par la reproduction grandeur nature un effet de fac-similé. C'est une approche ''Richterienne'' mais dans un mode mineur qui nous oblige à nous approcher et à entretenir une relation intime avec ce qui y est représenté.
Le format de la feuille elle-même est une mise en abîme, une image dans l'image. Le format et son système d'accroche produisent la forme d'un Polaroïd inversé. Le gaufrage du papier au format du Polaroïd au milieu de la feuille produit une empreinte du réel en positif à la manière d'une gravure
inversée.
Certaines des oeuvres des trois artistes réunis ont fait l'objet d'une acquisition par le Frac Provence Alpes Côte d'Azur, partenaire privilégié du Musée de la Photographie André Villers pour cette exposition.
Olivier Lécine
Commissaire de l'exposition