Dix-septième album solo de Paul McCartney, " Egypt Station " s'annonce d'ores et déjà comme un hit. Qu'en pense son producteur, Greg Kurstin ? Rolling Stone l'a rencontré
Par Andy Greene
Paul McCartney a enregistré la majeure partie de son nouvel album, Egypt Station, à Los Angeles et dans le Sussex, mais il ne pouvait y apporter la touche finale qu'à un seul endroit : Abbey Road. Pour le producteur Greg Kurstin, pénétrer dans les studios où les Beatles ont enregistré une majorité de leurs albums était surréaliste. "Je me pinçais constamment," confie-t-il. "À un moment donné, Paul s'est mis à jouer 'Lady Madonna' dans le couloir et tout le monde s'est massé autour de lui." Et ce n'est qu'une des expériences inoubliable qu'a vécu Kurstin pendant les deux ans qu'il aura fallu pour enregistrer Egypt Station !
Étiez-vous fan des Beatles quand vous étiez plus jeune ?
Bien sûr ! J'ai toujours aimé les Beatles. Ils se sont frottés à tellement de genres différents. Entre les Beatles et les Beach Boys, c'était un festival. Tantôt une chanson rock, tantôt quelque chose de plus old school comme le jazz. La complexité de leur musique m'a toujours séduit.
Quel était votre album préféré à cette époque ?
Revolver a toujours été mon album de référence. J'ai écouté différents albums de Beatles à différents moments de ma vie, mais je suis toujours revenu à Revolver.
Comment avez-vous rencontré Paul McCartney ?
J'ai participé à l'enregistrement d'un morceau que Paul avait composé pour un film d'animation. Je ne sais pas où en est ce dernier, mais c'était un test pour Paul et moi. Je pense qu'il voulait voir comment c'était de travailler avec moi.
Connaissez-vous le nom de ce film ?
Pour tout vous dire, non. Tout ce que je sais c'est que c'est l'adaptation d'un livre.
Ça s'est passé il y a combien de temps ?
Il y a au moins trois ans, si ce n'est plus. Je ne suis pas très doué pour ce genre de chose, mais je sais que c'était au moins un an avant que je commence à travailler sur Egypt Station.
Comment cette seule chanson s'est-elle transformée en une collaboration de deux ans ?
Un an après cet enregistrement, Paul s'est mis à travailler sur deux trois trucs. Ça n'avait alors rien d'un album, mais ça a vite évolué dans cette direction. Au début, son groupe et lui étaient seuls en studio. Il a apporté quelques chansons et on a commencé à travailler dessus. On a ensuite profité des temps morts entre nos tournées pour se retrouver. Parfois on enregistrait aux États-Unis, d'autres fois en Angleterre. C'est pour ça que ça a duré autant de temps.
Avait-il déjà enregistré des démos quand vous avez commencé à travailler ensemble ?
Ça dépendait. Parfois il se mettait au piano et s'essayait à quelques arrangements. D'autres fois, il jouait de plusieurs instruments. Certaines chansons étaient plus abouties que d'autres, mais la plupart du temps ce n'était que des esquisses. Il m'a demandé plusieurs fois de l'aider à arranger des chansons. Du coup, on pouvait se retrouver avec plusieurs versions du même morceau. La plupart du temps, on retombait sur nos pattes en studio.
Vous avez tout enregistré avec son groupe de tournée, n'est-ce pas ?
C'est exact, mais il joue quand même la plupart des instruments. C'est un grand batteur. Lorsqu'on était que tous les deux, il m'arrivait de jouer un peu, mais tout ce qui est basse, c'est lui. Il a aussi joué du piano et de la guitare à de nombreuses reprises.
Auriez-vous un exemple d'une chanson que Paul a enregistré seul ?
Confidante. Exception faite du violoncelle et du cimbalom, c'est tout Paul. On l'a enregistré à Abbey Road, ce qui était très cool ! Je n'y avais jamais mis les pieds, alors c'était incroyable d'y travailler en compagnie de Paul et de l'entendre raconter toutes ses anecdotes.
Comment c'était de travailler à Abbey Road ?
C'était incroyable. Paul n'arrêtait pas de raconter des histoires... c'était comme si les Beatles étaient encore dans les murs. Il avait plein d'anecdotes au sujet de la chambre d'écho. Il s'y cachait souvent avec John Lennon. Si vous enregistriez à côté, vous deviez sûrement les entendre rire ! Paul m'a aussi confié que la console avec laquelle ils enregistraient avait un réglage pop et un classique. John et lui se demandaient pourquoi les ingénieurs choisissaient toujours le premier : "Qu'est-ce qu'ils font que nous ne faisons pas ? " Ils pensaient qu'ils se faisaient rouler ou quelque chose comme ça.
À quel moment avez-vous commencé à travailler là-bas ?
Je ne suis pas doué avec les dates, mais c'était vers la fin de l'enregistrement. C'était plus une question de polir ce qu'on avait que d'enregistrer de nouveaux morceaux. On d'abord fait venir un quatuor à cordes et une harpe, puis un cimbalom. On a aussi doublé l'intro au piano de "I Don't Know", c'était vraiment cool !
Comment ça s'est passé la première fois que vous avez dû demander à Paul d'altérer un de ses morceaux ?
C'était étrange, mais je savais que c'était ce qu'il attendait de moi. Ça ne passait pas toujours bien, mais est toujours resté cool. Je me souviens lui avoir suggéré quelque chose, mais comme il continuait sur sa lancée, je me suis dit qu'il ne m'avait pas entendu. Quelque chose comme une demi-heure plus tard, je lui ai redemandé ce qu'il en pensait. Il m'a répondu : " Oh, je t'ai entendu, mais je faisais semblant de t'ignorer. " On prenait ça avec le sourire. Quand il venait à essayer ce que j'avais pu lui conseiller, j'étais bouche bée. Je pensais que mes idées étaient passées à la trappe, mais il leur donnait une chance. Parfois, je devais mentionner quelque chose deux ou trois fois si j'y croyais vraiment. S'il n'était pas branché par une de mes idées, je m'en rendais compte. C'est un Beatle : il a tout fait. Il a enregistré des albums expérimentaux et des albums pop. Tout ce que je pourrais jamais faire en studio, il l'a déjà essayé.
Aviez-vous discuté du genre d'album que vous souhaitiez enregistrer avant d'entrer en studio ?
Bien sûr. Paul voulait que chacune des chansons reflète quelque chose de différent, à l'instar des albums des Beatles. Certaines sont rocks, d'autres acoustiques... Il y en a même une inspirée par la musique brésilienne. Il voulait éviter tout ce qui est ordinaire, soniquement parlant. Il voulait expérimenter. Prenez une chanson comme " Hunt " ou " Hunt You Down " - je ne suis pas sûr du titre qu'il a fini par utiliser. Utiliser une guitare était trop évident, alors on a sorti le violoncelle. Il aimait essayer d'être le plus minimaliste possible. Dès qu'il pouvait, il repoussait les limites de nos arrangements.
Je vois que l'album commence par " Station I " et se termine par " Station II ". Que pouvez-vous me dire sur ces morceaux ?
Paul a d'abord composé quelque chose au clavier, ensuite on a fait venir David Campbell pour arranger les chœurs. On a enregistré ça dans une cathédrale, c'était vraiment cool ! Il fallait également enregistrer des bruits d'ambiance. Paul s'est servi d'un petit magnétophone portable pour créer certaines boucles. C'était le même que sur "Tomorrow Never Knows" !
C'était exactement le même magnétophone que sur " Tomorrow Never Knows " ?
J'en suis presque sûr. Il a pas mal expérimenté avec. Il enregistrait des boucles, ralentissait la bande et essayait des effets cools... John en avait un aussi.
J'ai entendu dire que "Despite Repeated Warnings" avait été un véritable parcours du combattant ?
En effet. Elle a quelque chose de "Band on the Run" et "Live and Let Die". Elle a un côté épique, avec beaucoup de sections et de mouvements différents. En ce qui concerne les paroles, Paul serait mieux placé pour vous répondre, mais il y a sûrement des références politiques. Il a d'abord travaillé avec son groupe avant de débarquer à LA, où on a retouché deux ou trois choses. On a fait venir des cuivres... Le processus de création de cette chanson a été très long. C'était comme si on enregistrait cinq ou six chansons en une !
Qu'en est-il de " Happy With You ? "
C'est un morceau acoustique très simple. C'est l'un de mes préférés, en fait. Paul l'a passé au compresseur Fairchild... C'est un vrai truc de Beatles. Je suis un mordu de musique, donc j'adore les trucs comme ça. C'est tellement amusant !
Quelle est la chanson brésilienne dont vous parliez ?
Elle s'appelle " Back to Brasil ". C'est l'une des premières chansons que nous avons enregistrées. On s'y est repris à quatre ou cinq reprises avant d'obtenir la chanson qui figure sur l'album. À la base, elle n'avait rien à voir avec ce que le public pourra écouter. Mais j'en suis vraiment heureux. Tout a commencé avec un piano électrique et une batterie, avant de passer à la moulinette de l'orchestre. À mon sens, ça a vraiment pris vie quand Alan Broadbent a débarqué pour travailler sur l'arrangement. Il a enregistré des cordes, des clarinettes, une flûte... J'aime vraiment ce qu'il a fait du morceau !
Comment expliquer que l'enregistrement ait duré si longtemps ?
On n'enregistrait qu'entre deux concerts. Si on met tout bout à bout, on arrive probablement à quatre ou cinq mois. Aux heures de bureau bien sûr !
Comment était le studio dans le Sussex ?
C'était juste un peu au milieu de nulle part. Je n'en connais même pas l'emplacement exact !
Cela n'a pas dû être facile de jongler entre McCartney, Beck et Foo Fighters ?
Ce n'était pas évident, mais Paul planifiait nos sessions d'enregistrement longtemps à l'avance. Beck était plutôt du genre à se pointer à la dernière minute, donc il fallait jongler un peu...
Quel regard portez-vous sur Paul, après avoir travaillé avec lui si longtemps ?
J'ai beaucoup appris à son sujet. J'aime qu'il repousse constamment ses limites. J'ai été impressionné par ses talents de compositeur. Plusieurs de ses progressions d'accords m'étaient totalement inconnues ! Au moment où je crois avoir tout entendu, il débarque avec "Despite Repeated Warnings"... Je n'avais jamais entendu ça ! Idem pour "I Don't Know". Je suis impressionné par le fait qu'il continue d'aller de l'avant et qu'il ne se repose pas sur ses lauriers. Il tient à ses chansons. J'aime aussi le fait qu'il voulait être moderne et actuel, mais à sa manière. Il a apporté des clavecins et des harmoniums qui se trouvaient dans son propre studio. Ce sont des instruments assez inhabituels, mais c'est tout Paul ! Ça m'a vraiment étonné qu'après tout ce temps, il continue de repousser ses limites. Je pense qu'il aime vraiment ce qu'il fait. Il a plus d'enthousiasme et d'énergie que quiconque ! Il m'a vraiment motivé. Quand à 17 heures tout le monde avait une baisse de régime, il était toujours à fond. Un jour, il a accroché de petites clochettes à ses chevilles et nous a demandé de les enregistrer. On s'est exécuté et il n'a pas arrêté de danser pendant deux ou trois prises. Je ne sais pas où il trouve toute cette énergie !
C'était pour quelle chanson ?
Je crois que c'était " Hunt You Down ". Ça fait partie des chansons pour lesquelles on avait besoin de percussions supplémentaires. J'imagine qu'on a du lui faire cadeau de ces clochettes dans les années 60. Chaque fois que je lui demandais d'où venait tel ou tel instrument, il me répondait : " Oh, celui-là vient du Nigéria. Celui-ci vient d'Asie... " À chaque fois que je posais mes yeux sur un coin du studio, je tombais sur la guitare électrique utilisée sur "Taxman", l'acoustique avec laquelle Paul a composé "Yesteday" ou encore la Hofner qu'il utilise depuis 1964... C'était incroyable !
Egypt Station a-t-il toujours contenu seize titres ?
Du tout. On a enregistré une vingtaine de chansons en tout.
Le reste sortira-t-ils un jour sous une forme ou une autre ?
Je pense, oui. Les inédits seront peut-être disponibles en ligne un jour. On a plus ou moins terminé tous les morceaux qu'on a mixé. Je dis vingt, mais il pourrait y en avoir vingt-cinq.
Pourquoi n'avez-vous pas produit "Fuh You" ?
Paul souhaitait profiter de ses congés pour continuer d'écrire et enregistrer, mais je n'étais pas disponible. Il est donc entré en contact avec Ryan Tedder.
Après Adele, Foo Fighters et Paul McCartney, avec qui allez-vous travailler ? Bob Dylan ? Neil Young ?
Si l'occasion se présentait, ce serait incroyable. Malheureusement, certains de mes artistes préférés ne sont plus parmi nous.
Traduit et adapté par Jessica Saval