Je n'étais pourtant pas inquiète d'être éventuellement déçue puisque c'est l'auteur lui-même qui est à l'affiche, et qui plus est, dirigé par Anne Bourgeois qui est une metteuse en scène que j'apprécie beaucoup.
Eric-Emmanuel Schmitt est parfait dans ce rôle ... je devrais écrire "ces" rôles car il les interprète tous avec autant de justesse, de sensibilité et de tendresse. Le Théâtre Rive Gauche a eu une excellente idée de programmer 30 représentations exceptionnelles de cette pièce, même si ce nombre ne suffira pas pour satisfaire totalement le public potentiel.
Car le roman, qui est un récit initiatique, drôle, tendre et philosophique, est devenu un "classique" de la littérature. Il a été adapté pour le cinéma par François Dupeyron et il a valu un César, et un Lion d’Or à Venise, à Omar Sharif pour le rôle-titre.
Écrit à l’origine pour le comédien et metteur en scène Bruno Abraham-Kremer, ce monologue théâtral a peu à peu gagné d’autres interprètes dans une cinquantaine de pays dans le monde et c'est un bonheur de voir l'interprétation qu'en fait Eric-Emmanuel Schmitt.
Nous sommes à Paris, dans les années 60. Momo est un garçon juif de treize ans abandonné par sa mère, et délaissé par un père dépressif, qui finira par mettre fin à ses jours. Le garçon qui n'a pas sa langue dans sa poche devient l’ami du vieil épicier arabe de la rue Bleue et découvrira le monde avec lui, et le secret du bonheur. Il comprendra auparavant que les apparences sont trompeuses : Monsieur Ibrahim n’est pas arabe, la rue Bleue n’est pas ce cette couleur-là et la vie ordinaire ne l'est peut-être pas tant que cela... Ce que tu donnes, c'est à toi pour toujours. Ce que tu gardes, c'est perdu pour toujours.
Les dialogues entre les deux protagonistes (joués par le même acteur) sont savoureux. Nous avons tous à apprendre de la sagesse du vieil épicier. Et pour cause : les dictionnaires n'expliquent bien que les mots qu'on connait déjà.
Je voudrais vraiment que vous ne passiez pas à coté de ce chef d'oeuvre. Les images seront peut-être plus fortes que mes mots :
Et si vous découvrez cette chronique trop tardivement revenez au texte, magnifique, comme en témoigne cet extrait : Monsieur Ibrahim, de l’avis général, passait pour un sage. Sans doute parce qu’il était depuis au moins quarante ans l’Arabe d’une rue juive. Sans doute parce qu’il souriait beaucoup et parlait peu. Sans doute parce qu’il semblait échapper à l’agitation ordinaire des mortels, surtout des mortels parisiens, ne bougeant jamais, telle une branche greffée sur son tabouret, ne rangeant jamais son étal devant qui que ce soit, et disparaissant on ne sait où entre minuit et huit heures du matin.
Il faut voir ou lire, ou voir et lire Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, qui est de mon point de vue un des meilleurs ouvrages d'Eric-Emmanuel Schmitt dont j'ai relaté plusieurs de ses romans et de ses pièces sur le blog. De tels propos sont nécessaires en ces périodes troublées par une montée inquiétante de l'intolérance.
M. Ibrahim et les fleurs du Coran de et avec Eric Emmanuel Schmitt
Mis en scène par Anne Bourgeois
Au Théâtre Rive Gauche
6 Rue de la Gaité, 75014 Paris
Du 5 septembre au 14 Octobre 2018
Du mercredi au samedi à 21h
Matinées les dimanches à 15h
(Relâche exceptionnelle le samedi 29 septembre 2018)