Je vous raconte mes rencontres autour du livre, avec les auteurs. J'aime cela. A la foire du livre de Bruxelles, par exemple, une délégation sénégalaise était présente au Pavillon des Lettres d'Afrique. J'ai pu faire la connaissance avec Andrée-Marie Diagne-Bonané. Une grande dame fort sympathique avec laquelle j'ai eu le plaisir d'échanger. Une interview a même été réalisée. Mais, une mauvaise manipulation m'a fait perdre mes données.
Cette dame est enseignante à l'université Cheikh Anta Diop et elle a de nombreuses autres casquettes touchant à la langue française, son enseignement et la littérature. Plusieurs de ses élèves ont réagi sur mon mur Facebook quand j'ai annoncé que je lisais son livre. La fileuse d'amour est un recueil de récits et de nouvelles. Je mélange les deux genres car je pense que le premier texte qui a donné le titre à ce livre est avant tout un récit sur sa famille. Sur sa mère en particulier. Je n'ai pas le sentiment qu'Andrée-Marie aie voulu réinventer cette figure maternelle un peu comme Kidi Bebey s'est autorisée à le faire dans son roman Un royaume pour une guitare. La mère de la narratrice est une figure stable, paisible, impassible, rassurante. En commençant le texte, on ne sait pas trop le situer dans l'espace et dans le temps. Andrée-Marie Diagne-Bonané étant burkinabé de naissance, sénégalaise par adoption, on peut imaginer que le lieu ou se passe ce premier est l'ancienne Haute-Volta. L'arrestation ou l'enlèvement du père nous situe à l'orée des indépendances. Elle file du coton. C'est son passe-temps. Avec patience, avec amour. Au contact d'une d'une couverture confectionnée par sa mère, la narratrice se souvient de moments tendres, douloureux. Elle lui rend hommage. Le portrait qu'elle en fait évoque réellement une autre époque. Les autres textes sont plutôt des nouvelles. Prenons Le Nègre bleu. Un texte sur l'immigration qu'il n'est pas facile à situer. Une peintre a recueilli un jeune migrant ou réfugié. Peut-être n'ai-je pas été assez attentif. Mais elle pourrait être à Nice ou dans le Nord du Sénégal. Celui qui fuit la violence pourrait avoir traverser le Sahara ou le fleuve qui sépare la Mauritanie du Sénégal. On se souvient des heurts violents en Mauritanie qui va conduit une migration important de mauritaniens négro-africains… La réflexion autour de l'œuvre d'art pourrait faire penser à certaines postures de Lord Henry dans Le portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde. Il y a une très belle sensibilité dans ce texte assez court qui parle d'une certaine forme de teranga, de l'adoption et du déchirement de l'absence pallier par une oeuvre d'art. Je note deux textes sur son regard sur la condition des femmes sénégalaises et sur l'organisation sociale des castes dans son pays. Sur le texte Assinatou, il est intéressant de voir l'effondrement du patriarcat suite au renoncement d'une jeune femme pourtant soumise, forgée pour se mouler dans un ordre installé. 3ème épouse depuis dix ans d'un notable, elle lui réclame à 25 ans sa liberté. Ce texte tout aussi court porte toute la tension sociale autour de la polygamie, l'honneur d'une famille et le deuil. Il s'inscrit dans la suite de grands textes qu'a produit la littérature sénégalaise sur ces thèmes. Le second est plus léger. Mais tout aussi intéressant. Je reproche gentiment à la littérature sénégalaise son classicisme. Je sous-entends sa déférence, sa révérence constante une belle écriture parisienne. Avec Andrée-Marie Diagne-Bonané, gardienne du temple, j'ai été servi. Agréablement cependant. Elle nous touche par sa sensibilité, sa délicatesse et la distance nécessaire pour dire tout de même des travers ou fermetures de la société sénégalaise. A découvrir.
Andrée-Marie Diagne Bonané, La fileuse d'amourEditions L'harmattan Sénégal, disponible en format numérique, première parution en 2014, 78 pages