XVI
Fourmillantes familles fluviales d'Europe !
Que nous poètes seuls.
Connaissons dans leur ripuaire et pacifique continuité.
Glissants miroirs d'eau où réfléchir/se réfléchir.
Eussions tellement mieux fait de choisir l'aristocratie liquide.
Plutôt que nos jeux guerriers.
Affrontements par clans/tribus.
Quelle sagesse pour rien les fleuves d'Occident !
Quelle infinitude de temps jusqu'au romantisme !
Quel écoulement stérile de masses d'eau réfléchissantes !
Avant que cours/courants n'empruntent tuyaux musicaux.
Que Schumann Schubert ne libèrent lit/lied les rivières.
N'allient phrasé des voix humaine à l'étiage des eaux.
Été tout à coup !
Summer sommer!
Ah ! quelle libération !
Voici se concerter Meuse Escaut Rhin Rhône Saône Oder.
Entrer sans débordement au défilé des gorges humaines.
Cependant qu'art suprême poésie s'invente aux moors aux landes.
À l'écart des centres de décision politique.
En marge de cours royales, casernes, armées.
Ruisseaux lacs tourbières--‑
Révolution inouïe !
Nature l'inaudible devient audible par ses sons.
Ses bruits ---chants d'oiseaux, discours rus ruisseaux etc...
S'ébranle l'alliance arts/armes confisquée aux hiérarchies.
Se dissout décompose la société courtisane.
Cependant que démocratie des voix s'éparpille.
Nous retrouver nous regrouper ensemble !
Faisceaux d'individus librement désassemblés ---chorales.
Sauter le pas de détente du Temps.
Ruer au défilé d'urgences musicales.
Calculer comput de voix neuves calendaires.
Suivant longueur liquide d'arpèges improbables.
XVIII
J'ai vu le Concord à Concord
& vu le Merrimack.
Thoreau son frère pagayant dessus tels d'Indiens.
J'ai vu l'Hudson aussi haut que gratte-ciel d'eau à plat.
Hauteur ampleur de New York.
J'ai ouï l'Housatonic de Charles Ives.
Son fourmillement cuivres & cordes.
Parmi érables & chênes à l'automne.
J'ai vu le Connecticut est-ce toi Emily là-bas ?
Femme à l'ombrelle sur la rive ?
Non, bien sûr, tu t'es recluse.
Ne sors ni de ta ni tes (Austin ton frère) maisons.
Ta lumière brûle tard dans la nuit petite chouette nocturne.
Petite effraie.
J'ai vu la tablette où tu posais ta main d'écrivaine écrivant.
Lorsque tu dialoguais avec les morts du cimetière d'Amherst.
Par ta fenêtre.
Vue directe sur la mort, bien sûr.
Je préfère les bouches vivantes écoute-moi écoutez-moi
Oui je préfère la bouche Escaut bien au-delà d’Anvers
De Vlissingen.
J’ai même loué une barque à Veere pour sinuer entre vapeurs.
Barges.
Remorqueurs.
Trains de péniche.
Les embouchures de nos rivières nos fleuves sont rieuses.
Bouches épanouies.
Bouches à houblon bouches à gueuzes
Bouches flamandes bouches hollandaises.
Nos Hals nos Steen nos ter Broch rient.
L’Europe est rire.
Jusqu’au tragique.
Bouches déchirées plus larges que plaie.
Pour ce que rire est propre de l’homme.
Jacques Darras, « Lettre à l’Europe depuis Ellis Island », in revue Po&Sie, n°160/161, Trans Europe Eclairs, 2017, 320 pp., 30€, pp. 230/232.
Jacques Darras dans Poezibao :
biobibliographie, au lundi des Poètes, mai 07, A ciel ouvert, (par JL Despax), ext. 1, un article de Claude Guerre, ext. 2, ext. 3, [note de lecture] Jacques Darras, "Blaise Pascal et moi dans la voie lactée", par Isabelle Lévesque, [entretien] avec Jacques Darras, autour de "La Transfiguration d'Anvers", (Anthologie permanente) Jacques Darras, "L'Embouchure de la Maye", (Notes sur la création) Jacques Darras, "A l'Ecoute",