Ils étaient six Écossais
(De l’envoyé spécial du Petit Journal.) Front britannique, 21 septembre. Ils étaient six, dont un caporal, ainsi qu’il convient. Ils étaient à Mœuvres quand les Allemands reprirent Mœuvres. En vertu du principe que l’on n’est jamais si bien qu’où l’on se trouve, ils y restèrent. Pendant quarante-huit heures l’ennemi conserva le village. On ne s’était pas plus aperçu de la disparition des six que d’une nouvelle feuille qui viendrait de tomber dans le bois de Bourlon. La guerre n’a rien à voir avec le tourisme. Des bourgs qui n’auraient pas retenu une seconde, en temps de paix, fascinent aujourd’hui. C’est à qui les possédera ; il en est ainsi de Mœuvres à cause de Cambrai. Les Britanniques s’en étant emparés, les Allemands le voulurent. Ils le reprirent. Les Allemands l’ayant repris, les Britanniques n’en dormirent plus : ils le leur arrachèrent. Mais à peine étaient-ils dans le village qu’ils aperçurent en plein milieu six des leurs en train de tirer. Quand on entre le premier dans une conquête et qu’on en est parfaitement certain, puisqu’on mène l’attaque, on n’aime pas, arrivant au but, trouver six gaillards y campant déjà. — Allô ! crièrent les Écossais aux six gaillards d’Écosse comme eux, d’où sortez-vous ? Les gaillards montrèrent à leurs pieds un certain réduit qu’ils avaient aménagé et firent signe que c’était de là. — Oh ! dirent les Écossais, alors c’est bien. C’était, en effet, très bien. Ces six phénomènes-là, non seulement étaient demeurés chez les Allemands, mais en avaient tué à toute occasion. Leur tableau était là, étalé devant eux, les jambes en l’air. Ils ont été rejoints après deux jours de résistance, mais ils n’étaient pas à bout. — Oh ! vous êtes venus vite, dirent-ils. J’ai battu aujourd’hui tout le secteur de Quéant pour les trouver. Il m’aurait plu de voir la figure qu’ils avaient, ces six Ecossais-là. J’avais l’intention de leur demander leurs noms et de leur offrir un verre de whisky. À l’heure qu’il est, je les cherche encore. Pour ce qui est de ma première intention, ils s’en consoleront, pour ce qui est de ma seconde, ce sera plus dur.
Le Petit Journal
, 22 septembre 1918.Aux Editions de la Bibliothèque malgache, la collection Bibliothèque 1914-1918, qui accueillera le moment venu les articles d'Albert Londres sur la Grande Guerre, rassemble des textes de cette période. 21 titres sont parus, dont voici les couvertures des plus récents:
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