Là où les chiens aboient par la queue de Estelle-Sarah BULLE

Par Lecturissime

"Dés le départ, toute notre histoire prend racine dans la terre à chimères."

Dans la famille Ezechiel, la jeune nièce guadeloupéenne vivant en métropole s'interroge sur ses origines. Elle décide alors de se tourner vers sa tante Antoine, la plus indomptable de la fratrie, pour qu'elle lui livre son histoire antillaise. L'histoire familiale revit alors sous les mots d'Antoine, mais aussi sous ceux de Lucinde et Petit-frère, la soeur et le frère d'Antoine. A travers leurs récits, la narratrice découvre ce bourg particulier de Morne-galant, surnommé "Là où les chiens aboient par la queue" d'où vient sa famille.

Ce premier roman chatoyant évoque la Guadeloupe dans les années 40, au travers de l'enfance dans la campagne de cette Antoine fascinante, puis la découverte de Pointe-à-Pitre, le commerce dans les mers des Caraïbes, pour finalement choisir l'exil à Paris au pied du Sacré-Coeur.

"Je suis restée plantée au milieu de la rue. En continuant d'approcher, il m'a lancé : " T'es Noire ou t'es Blanche , toi ? "
Je n'ai pas tout de suite compris ce qu'il voulait. "Qu'est-ce que tu veux que je te réponde ?" Il a répété sa question en tendant vers moi un doigt menaçant. Ma vie dépendait peut-être de ce que j'allais dire. Toutes ces histoires de négritude qu'on entendait , que Césaire et Senghor poétisaient admirablement et qui fascinaient les jeunes, ça m'avait toujours laissée indifférente.
Je me considérais comme une femme, ça oui, et comme une guadeloupéenne, c'est-à-dire une sang-mélangé, comme eux tous, debout sur un confetti où tout le monde venait d'ailleurs et n'avait gardé qu'un peu de sang des Caraïbes, les tout premiers habitants. Ça m'éloignait définitivement de toute idée de grandeur et de pureté. Ma fierté, c'était le chemin que je menais dans la vie et que je ne devais qu'à moi-même. (p. 234)

En France, Antoine découvre aussi le racisme : " Je dirais qu'en métropole, nous sommes devenus noirs vers 1980, à partir du moment où avoir du boulot n'est plus allé de soi. Avant ça, le plein-emploi et la jeunesse soudaient les gens, ceux qui n'avaient pas grand chose, dans une même vigueur et des rêves communs. Bien sûr que le racisme existait, mais pas suffisamment pour gâcher la fête."

Les autres voix qui se font entendre contre-balancent les avis quelquefois tranchés de cette tante au caractère bien trempé, offrant ainsi le destin de toute une génération d'Antillais pris entre deux mondes qui scintille sous les mots limpides de l'auteur.

Là où les chiens aboient par la queue, Estelle-Sarah BULLE, Liana Levi, 288 p., 19 euros