Critique de Construire un feu, de Jack London, vu le 22 septembre 2018 au Studio-Théâtre de la Comédie-Française
Avec Alexandre Pavloff, Pierre Louis-Calixte et Nâzim Boudjenah dans une mise en scène de Marc Lainé
Il y a 2 ans, pour clore la saison 2015/2016, Julie Sicard proposait lors de son Grenier des acteurs une lecture de la nouvelle de Jack London, Construire un feu. J’étais à Londres ce jour-là, et n’ai pu y assister, mais je me souviens très bien qu’un proche alors présent sous la Coupole m’avait dit son émotion devant la découverte de ce récit auquel Julie Sicard rendait toute sa puissance évocatrice. C’est donc plutôt impatiente et même enthousiasmée par des premiers retours positifs que je me suis rendue au Studio-Théâtre pour découvrir, à mon tour, la nouvelle de Jack London.
Quelque part dans le Klondike, un homme part rejoindre un campement. L’hiver est rude, il fait -75°F mais c’est le premier hiver que passe l’homme dans ces froides contrées et, malgré les mises en garde de ses camarades, il ne perçoit pas tout de suite le danger de son expédition. Il construit un premier feu à l’heure du déjeuner, pour ne pas geler lors de son arrêt. Il n’est pas peu fier du chemin parcouru. Mais cette gloire sera de courte durée car, lorsqu’il reprend la route, la glace casse sous son poids et il se retrouve avec les mollets mouillés. Seule la construction d’un nouveau feu, durable, lui permettra d’éviter le gel de ses membres.
Qu’elle est belle, cette nouvelle. En lire à nouveau le résumé me donne la chair de poule. Mais quelque chose cloche : ce frisson-là ne m’a pas parcouru pendant la pièce. Au contraire : je me suis retrouvée en position de spectatrice plutôt détachée de l’histoire terrible qui se jouait devant mes yeux. Comment ai-je pu en arriver là ? De Jack London, j’ai lu L’Appel de la forêt et Croc-Blanc. J’ai pris un plaisir fou à me figurer les plaines enneigées du Canada qui accueillent ses histoires et à me représenter les hommes et les loups qui les composent. Les paysages décrits par Jack London existent déjà quelque part dans mon esprit. Et je ne crois pas avoir eu besoin de qui que ce soit pour m’aider à les représenter.
Alors je ne comprends pas la proposition de Marc Lainé. Je ne comprends pas l’intérêt d’illustrer un texte qui se suffit à lui-même. Je n’ai pas besoin que Nâzim Boudjenah enlève son gant lorsque Pierre-Louis Calixte dit que le personnage « enlève son gant » pour comprendre qu’il enlève son gant. Je n’ai pas besoin de neige sur le sol, de maquettes représentant des plaines enneigées et de brindilles disséminées sur la scène pour me figurer un homme marchant seul dans le froid et cherchant à faire du feu. Au contraire. Les écrans, les caméras, les effets spéciaux, tous ces trucs accaparent mon cerveau et m’empêchent de suivre le fil, ce fil si mince qu’il ne faut jamais lâcher, ce fil de la vie qui peut se rompre à tout moment. Mais il n’est plus question d’un fil, ici, mais d’un pull en Lainé.
Ce que je comprends, c’est que Marc Lainé est scénographe et que je l’ai senti avant de le savoir. Il s’est entouré d’un dispositif lourd, inutile ici, et qui dessert le récit. Quel intérêt de faire parler le personnage du chien ? Pire encore, pour bien montrer que c’est un chien, on lui donne une gestuelle différente de celle de l’homme mais qui rend le comédien soudainement ridicule ; distribuer Alexandre Pavloff dans ce rôle est d’ailleurs une absurdité : il n’est pas fait pour jouer une force naturelle – au contraire, il est bien meilleur lorsqu’il s’agit de jouer des personnages étranges, décalés, dans le vice. Tout cet éparpillement m’a mise à distance, en perdant toute l’oppression liée à l’histoire elle-même. Mais l’histoire, ici, n’est plus qu’une excuse. Quel dommage. Et soudain, devant ce genre de spectacle, on se demande : mais on fait plaisir à qui, là, exactement ?
Restée de glace.