Le Petit Journal
L’avance des Britanniques les rapproche de la
ligne Hindenburg
(De
l’envoyé spécial du Petit Journal.)
Front britannique,
18 septembre.
Si l’Allemagne
possédait deux oreilles, ce qui n’est pas probable, n’ayant rien entendu à ses
propres affaires, je crois qu’elle ne les aurait jamais eues plus rouges qu’en
cet heureux été. On les lui frotte de tous les côtés ; quand l’un
s’arrête, l’autre reprend. Jusqu’à Salonique qui s’en mêle. Mais ne nous
échappons pas sur les rives de la Cerna et demeurons dans notre secteur,
c’est-à-dire chez les Britanniques.
Trois minutes de bombardement
Ce matin, à 5 h. 20,
les Britanniques viennent de leur offrir une nouvelle petite séance de gant de
crin. Il ne faisait même pas encore jour. J’en donne pour preuve que les trois
minutes de bombardement qu’on leur servit éclatèrent aux yeux comme un feu
d’artifice et chacun sait que les feux d’artifice ne se tirent que la nuit. Le
réveil ainsi sonné, nos amis, qui n’en sont pas à une prévenance près, allèrent
les tirer par les pieds.
Ce ne fut pas
une surprise. Plus rien maintenant ne peut leur être une surprise. Ils savent
comme nous les points où nous devons les attaquer, et comme ce que nous devons
faire, désormais nous le faisons. Ils sont renseignés merveilleusement sur ce
qui leur pend au nez. Quoique entamée d’un esprit léger, c’était donc une
lourde tâche que nous entreprenions.
Elle était
lourde pour deux motifs : premièrement, parce qu’elle se heurterait à
toute l’artillerie de la ligne Hindenburg ; deuxièmement, parce qu’elle
serait sans auréole immédiate ; et elle serait ainsi, parce qu’aucune
ville ne viendrait couronner sa fin de journée et parce qu’elle n’était qu’à
objectifs limités et non « de percée ».
Objectifs limités, mais importants
Mais il est
déjà assez qu’une tâche soit ingrate sans que, pour le coup, elle devienne
insignifiante. Celle-ci était d’un aussi grand intérêt, parce qu’elle a forcé
l’ennemi à se replier sans pouvoir utiliser nos vieilles lignes de défense. Car
tout vient en son temps.
Je voudrais
que le lecteur apprît à suivre la guerre, non avec ses désirs, mais avec les
yeux des chefs et les jambes des soldats. Ne sautez pas ainsi, chers amis, et à
tout bout de champ, sur les gros noms qui éclairent les cartes. Il n’est pas,
pour les combattants comme pour vous, que l’espace d’un petit doigt entre le
trait qu’ils occupent et le rond noir de la cité. Quand on partira pour prendre
une autre section de la ligne Hindenburg, je vous le dirai…
L’armée qui
opéra est la 4e armée, celle qui est en liaison avec les
troupes françaises. Le but de cette bataille était de rejeter les Allemands,
sur cette longueur-là, dans la ligne Hindenburg. Pour cela, nous devions faire
une avance de 5 kilomètres. L’opération était montée en deux temps.
Premier temps : gagner la ligne des hauteurs Le Verguier, Hargicourt,
Ronssoy, Épéhy. Deuxième temps : comme ces hauteurs ne nous donnaient pas
une vue continue sur la ligne Hindenburg, s’emparer, pour avoir cette vue, de
l’ancienne ligne d’avant-poste britannique, de la ligne du 21 mars.
Ainsi fut-il
fait.
Attaque réglée au chronomètre
La veille, au
quartier de cette armée, sur le coup de six heures et demie, un général anglais
nous avait expliqué l’affaire. Il l’avait fait si bien et avec tant de précisions
que, ce matin, en regardant sur le terrain se dérouler l’action guerrière, je
me rendis compte que, si j’avais été un de ces hommes paresseux ainsi qu’il en
existe, j’aurais très bien pu demeurer dans mon lit et vous raconter la
bataille comme si l’y avais assisté… À l’heure où le général avait dit que les
troupes partiraient, elles partirent. La résistance qu’il avait prévue eut
lieu. Où il avait prétendu qu’il serait à 8 heures et demie, il y était.
Où il devait reconduire l’ennemi, il le reconduisit.
Ajoutons que
les divisions qui attaquaient étaient toutes des divisions en ligne et que
vraiment l’empereur Guillaume a autant de raisons d’être de mauvaise humeur.
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