Les Fabriques Digitales (ou Digital Factories) fleurissent dans les grands groupes français et internationaux depuis 5 à 6 ans. Mais que se cache-t-il derrière cette volonté de retrouver de l’agilité et de l’innovation face à des menaces externes d’acteurs plus rapides ? Suffit-il de 40 geeks dans un OpenSpace pour faire une Fabrique Digitale ? Entrons ensemble dans l’usine !
A l’image des propos liminaires de mon précédent article (20 outils indispensables du Responsable Digital #Cuvée2018), et même si j’ai la chance de travailler aujourd’hui au sein d’une Fabrique Digitale, cet article est mon regard sur ces expériences d’innovations organisationnelles sur le Digital, et il ne saurait bien sûr engager mon employeur.
Sommaire
- Le Digital est un métier...
- Un chemin vers la Transformation Digitale
- Construire mieux et plus vite
- Mais ne pas s'arrêter à la construction !
- Rompre dans le mode de faire
- Rompre dans le mode d'organiser
- Choisir la co-localisation
- Accélérer la Transformation Digitale
- BONUS : Ça n'est pas (d'abord) une question de budget
Le Digital est un métier…
Au risque d’enfoncer des portes ouvertes (j’ai déjà eu l’occasion d’en parler sur mes précédents articles sur les choix structurants des outils digitaux), le digital est un métier de spécialistes et d’expertises (au pluriel).
Il est heureusement loin le temps où l’on confiait la conception d’emailing à une secrétaire, l’animation d’une page Facebook à un pigiste papier sans formation ou la conception d’une campagne e-marketing à une équipe en charge de l’animation d’un réseau commercial.
… mais un métier pas comme les autres
En effet, le Digital est un métier bien à part :
- du fait de la technologie omniprésente,
- du rythme qui impose d’évoluer souvent,
- de la concentration des compétences à la fois techniques mais aussi marketing ou relation client.
Rajoutez à cela les innovations de management inspirées du monde des GAFA (je vous conseille à ce sujet l’excellent Work Rules de Laszlo Bock, ancien DRH de Google) ou des entreprises libérées (cf. Le Bonheur au Travail de Martin Meissonnier par ARTE) : il est nécessaire de penser l’organisation du Digital de manière différente en visant plusieurs objectifs :
- Réduire le time to market : ou dit autrement, livrer des produits beaucoup plus rapidement
- Améliorer la satisfaction client : en mettant l’expérience client au cœur et donc en associant le client,
- Développer l’attractivité et le bien-être des collaborateurs : les expertises et les compétences doivent à la fois être attirées et entretenues dans l’entreprise.
C’est à ces défis que se proposent de répondre les modes d’organisation de type Fabrique Digitale1)les : parce qu’entre les modèles de BNP Paribas, Thalès, TF1 ou de la SNCF il y a indéniablement des points communs, mais aussi de grands écarts, notamment de dimensionnement.. Je vous propose donc de parcourir 7 ingrédients d’une Fabrique Digitale.
1. Un chemin vers la Transformation Digitale
Une Fabrique Digitale n’apparaît pas ex nihilo. Elle cherche à re-créer au sein d’une entreprise 2)de taille significative des conditions qui existent normalement dans des start-ups, à savoir :- supprimer les silos,
- accélérer les cycles de décision,
- favoriser les initiatives et la responsabilité,
- développer l’intelligence collective,
- faire émerger une démarche volontaire d’amélioration continue,
Et tout cela au service de l’expérience client et de la création de valeur.
Elle n’a donc pas pour but de créer un ilot digital de happy few sachants mais déconnectés du reste de l’entreprise qui resterait gouvernée par des processus d’antan.
La Fabrique Digitale est l’avant garde d’une entreprise qui cherche des moyens de s’adapter à un monde plus volatile, dans le but de la transformer tout entière. Dit autrement, une Fabrique qui réussit est une fabrique qui arrive à digitaliser les processus d’une entreprise, et à fondre ses innovations dans le nombre.
Elle contribue donc :
- à adapter sur le Digital d’abord l’entreprise au rythme du marché qu’elle adresse
c’est son fondamental : pouvoir livrer vite, organiser différemment, expérimenter et se tromper - à transformer des processus coeur de métier
par le rayonnement du Digital en offrant davantage de services attendus par le client, - à diffuser cette innovation au-delà de son périmètre propre
pour permettre à tous les secteurs d’une entreprise de rentrer dans cette méthode matricielle et agile
Pour cela il est indispensable que la mise en place d’une Fabrique s’intègre dans un processus assumé de Transformation de l’entreprise, et donc d’une volonté portée haut dans la Direction Générale. La Fabrique venant bousculer des modes de faire, elle aura besoin de tout le soutien – et pas seulement du budget, nous y reviendrons dans le bonus – pour faire sauter les verrous et ouvrir les portes.
2. Construire mieux et plus vite
Le premier gain d’une méthodologie agile est de livrer plus vite des produits correspondant davantage au besoin du client (et pas pour moins cher à projet livré comparable). Il est loin le temps où les kilomètres de cahiers des charges servaient à caler les armoires ou à nourrir une broyeuse.
Un besoin réel est détecté, une valeur peut être créée ? Alors expérimentons un premier produit – et pas un premier lot !
J’ouvre aux plus aguerris d’entre vous la réflexion proposée par l’excellent Rand Fishkin (7 Lessons That Will Make You a Better Entrepreneur) sur le niveau du produit viable à livrer. En fonction de votre situation, le MVP n’est pas forcément la bonne réponse, l’Excellent Viable Product l’est probablement davantage, surtout si vous êtes déjà connus et que vos clients attendent des produits suffisamment finis. Ce qui ne remet pas en question la méthode agile, loin s’en faut.
Lancer un Minimum Viable Product ou un Excellent Viable Product ? (source)
L’autre gain est de pouvoir se tromper et d’oser arrêter. C’est d’autant plus simple de faire le deuil d’un projet quand vous n’avez pas consommé 200 jours-hommes dans une étude d’opportunité, et que vous êtes face à la théorie des coûts irrécupérables qui vous incite à dire : ça me coûterait trop cher d’arrêter maintenant (mais c’est faux
cf David Louapre – La Théorie des coûts irrécupérables).Mais la Fabrique Digitale ne se limite pas à une application adaptée de la méthode agile. Elle responsabilise également les producteurs. En devenant Product Owners, ils deviennent responsables de leur ligne produit et de leur évolution. C’est ainsi les mêmes équipes qui construisent et améliorent le magasin sans se renvoyer la balle !
3. Mais ne pas s’arrêter à la construction !
Une Fabrique Digitale qui s’échine à construire sans faire vivre, c’est un supermarché qui a les plus beaux des rayons mais qui restent désespérément vides, sans produits, ni clients, et donc sans chiffre d’affaires !
Et ces deux activités ne peuvent être dissociées. Si vous ne pouvez pas adapter les rayons aux nouveaux produits, si les retours des clients sur leur expérience d’achat ne sont pas mises en place dans les rayons et les caisses, vous n’avez fait que la (petite) moitié du chemin.
Vous préférez un supermarché bien construit ou un supermarché qui vend bien ?
Si l’on applique cette image au Digital, il s’agit de rapprocher les constructeurs (Product Owners, Scrum Masters, DevOps, UX designers) avec les Marketeurs Digitaux (SEO, Trafic, Analytics, DataScience, UX Designers, Conversion Rate Optimisers, Campagnes digitales, etc.) dans une même entité.
Pour que les deux aspects puissent s’alimenter de manière itérative :
- Que les marketeux (et par extension les clients) puissent être associées dès la construction du magasin,
- Que les constructeurs suivent la vie de leur produit pour continuer de l’optimiser.
Dit autrement : séparer ces activités, c’est re-créer des silos et freiner la capacité à livrer des produits répondant vraiment au besoin du client (alors que l’on cherche précisément à casser les silos).
4. Rompre dans le mode de créer
Le Digital impose des modes de faire et de run radicalement différents. Et cela impacte la structure même d’un système d’information, les choix d’hébergement ou les technologies choisies pour construire un produit.
Si Instagram avait organisé son système d’information à l’ancienne, leur application aurait été indisponible pendant des semaines suite au lancement de leur version Android. Au contraire, en encaissant sans broncher 1 million de nouveaux utilisateurs en une seule journée 3)+ 1 million d’utilisateurs en 24h, je ne sais pas si vous vous rendez compte !, simplement parce que la question du volume d’utilisateurs n’était justement pas une question.
Question : Vos applications digitales seraient-elles en capacité d’absorber une telle charge supplémentaire dans un délai si court ?
1 millions de nouveaux utilisateurs pour Instagram en une journée (source : The Verge)
Ainsi, les tests de non régression automatisés, plateformes d’intégration continue, l’hébergement Cloud sont autant de technologies qui ne devraient même plus être remises en question dans un environnement digital digne de ce nom.
Par exemple, voici l’exemple de la Fabrique Digitale de BNP Paribas Personal Finance qui s’appuie sur la plateforme IBM BlueMix pour disposer à un coût très abordable d’un panel de technologies on demand et de manière très simplifiée. Des équivalent existent bien sûr chez AWS, Microsoft Azure et Google Cloud.
5. Rompre dans le mode d’organiser
Vous voulez rater une Fabrique Digitale ? imposez-là !
Le meilleur moyen de rater sa fabrique
Si la Fabrique Digitale doit être voulue et soutenue par la Direction Générale, il est indispensable de la co-construire avec les collaborateurs qui en feront partie. Pour rappel : son but est de mener à la transformation digitale de l’entreprise. Alors si vous n’arrivez pas à transformer les usages dans un périmètre restreint, il est illusoire de vouloir transformer le collectif.
Par contre, ces changements ne sont pas innés. Et il ne suffit pas de les décréter pour qu’ils apparaissent.
Vous devrez accompagner spécifiquement :
- Chaque collaborateur
en fonction de son niveau de maturité, et des changements dans son activité : parce que oui “on ne fera plus comme avant” - Chaque manager intermédiaire
qui ne seront peut-être plus manager demain, pour qu’ils trouvent du sens dans leur nouvelle activité et un rôle qui leur correspond - Et le top management
qui va devoir apprendre que la confiance implique aussi du lâcher-prise, et que le reporting d’avant n’est pas tout à fait adapté à ce nouveau mode de fonctionnement (quoi qu’il ai pu faussement paraître rassurant).
C’est un accompagnement qui prendra du temps, avec forcément une courbe de deuil des anciennes méthodes et des retours aux vieux réflexes. Mais un coaching spécifique pourra vous aider à passer cette mutation (bénéfique !).
6. Choisir la co-localisation
Avouez que certains locaux donnent envie
Toutes les Fabriques Digitales cherchent à recréer du lien.
Le secret ne réside pas simplement dans des cloisons qui tombent, un baby-foot, des pizza party, ou des locaux accueillant.
Seulement si vous cherchez à mettre en place une Fabrique avec des collaborateurs séparés dans des locaux différents, vous ne mettez pas toutes les chances de votre côté.
Il est possible d’envisager des organisations agiles qui dépassent une Fabrique Digitale (notamment dans les organisations Agile @ Scale) mais elles requièrent une grande maturité dans la méthode agile.
Alors mon conseil : commencez par un MVP, à savoir une Fabrique en un seul lieu !
7. Expérimenter en interne et avec l’extérieur
Nous l’avons vu plus haut, la Fabrique Digitale est en soi un laboratoire d’innovation. Elle peut tout à fait en expérimenter de son propre chef, ou comme chez ENGIE de mettre à disposition de ses collaborateurs un lieu et des moyens propices à l’innovation (avec une méthode adaptée).
De par le test & learn, la Fabrique permet d’expérimenter à différentes échelles. A la fois des technologies, des usages, des produits, ou des modes de faire.
Encore une fois, l’idée est d’être à l’écoute d’un environnement et de ses clients, quitte à les faire intervenir chez soi. Quoi de mieux qu’un panel de client associé à la construction d’un projet structurant pour garantir l’adéquation à leurs besoins réels.
A moindre coût, il est tout à fait possible de mettre en place des procédures de tests utilisateurs accélérés permettant d’alimenter des phases de review (STOP or GO) évitant un rework complet en fin de projet.
BONUS : Ça n’est pas (d’abord) une question de budget
Nous voici arrivés à la fin de ce petit panorama (forcément incomplet) des fabriques digitales et de leurs ingrédients essentiels. Et nous n’avons (presque) pas parlé d’argent. Or, la plupart des lancements médiatiques des Fabriques Digitales amoncellent les dizaines de millions d’euros (comme celle de Thalès et ses 150 millions d’euros investis).
Mais la Fabrique Digitale n’est pas d’abord un fond d’investissement. C’est un mode pour construire et faire vivre le Digital au service du Client.
Vous pouvez commencer à plus petite échelle et faire grandir au fur et à mesure des apprentissages et des succès. Bien sûr, dédier des collaborateurs à une activité digitale conséquente représente forcément un coût (d’autant plus significatif que le nombre de collaborateurs est important). Mais retenez que vous pouvez transformer une activité digitale existante et la rendre plus performante sans signer un chèque à 9 chiffres.
Un grand merci de m’avoir lu jusqu’ici. N’hésitez pas à laisser un commentaire pour partager votre expérience ou votre regard sur ces nouveaux mode de vivre le Digital et l’Entreprise.
References [ + ]
1. ↑ les : parce qu’entre les modèles de BNP Paribas, Thalès, TF1 ou de la SNCF il y a indéniablement des points communs, mais aussi de grands écarts, notamment de dimensionnement.
2. ↑ de taille significative
3. ↑ + 1 million d’utilisateurs en 24h, je ne sais pas si vous vous rendez compte !
L’article Les 7 secrets d’une Fabrique Digitale (et 1 bonus qui va vous étonner !) est apparu en premier sur Blig !.