Il faut saluer l’acte éditorial de Guillaume Basquin et Christelle Mercier (les éditions Tinbad).
Cet acte décidé, aventureux, permet de retrouver ou de découvrir un poète, Pascal Boulanger, le déploiement de son œuvre, ainsi que la conscience critique qu’il en a. Dire que les livres de Boulanger sont des « manuels de survie » laisserait entendre qu’il y a là opération de plus-value. Non, ces livres sont des manuels de vie.
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Quelle place prend le livre dans la publication de poèmes ? L’édition d’une anthologie invite à poser la question. La parution d’un livre prend dans l’œuvre d’un poète un sens différent de ce qu’il en est pour un romancier. A la différence du romancier, le poète n’intègre pas dans son projet la réalisation d’un livre, il écrit dans l’ivresse (dans l’apostrophe et l’écart), l’effusion de l’énergie poétique. Le poète ne gère pas, il exagère. Il compose un recueil ? Ce volume se défera et recomposera sans cesse. Il est donc dans la nature même du déploiement de l’œuvre poétique de procéder à une anthologie. L’épuisement de premiers tirages imprimés apporte ici une bonne opportunité. Mais je dirai que l’événement de l’opération d’anthologie (fleurs cueillies et recueillies de nouveau) était comme initialement induit dans l’écriture et la publication de poèmes (sans projet) mais potentiellement.
Les romanciers se relisent-ils ? Les poètes, oui, je crois. Ils se relisent, se « rectifient », ils réajustent la cible et l’arc. Ils ajoutent (font suivre de) ou retirent. Se relisant ils perçoivent la trame.
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« Plus d’anges
de la mort
couverts d’yeux
mais des parenthèses
des italiques
aimant dire
aimer c’est dire
tu ne mourras pas »
(page 336)
C’est rétrospectivement et en avançant que l’on reconnaît la trame de ce qui s’est dit là, de poème en poème, de volume en volume, de ce qui s’y est inscrit non sous l’effet du volontarisme mais visant une cible qui se consume (la poésie). Pascal Boulanger a résolument tourné le dos à la chansonnette comme à l’esthétique des fragments, à l’exercice du doute philosophique sur la page. Il a lu les Prophètes et les Psaumes, il vise la beauté dans la confrontation, le dialogue exigeant ou accueillant. Il pousse à bout la ligne, il trouvera bien un commencement et une apocalypse. Chez lui, le retrait lance un nouveau trait. Il met en jeu la véhémence de la foi. Là, il s’agit d’une « Guerre » (le mot est de Rimbaud) difficile à définir mais en tout cas une guerre contre les produits calibrés.
Claude Minière
Pascal Boulanger, Trame : Anthologie 1991-2018 suivie de L’amour là. Editions Tinbad, 2018, 365 p., 30€.