" Josette Audin, restée seule avec trois jeunes enfants, retenue plusieurs jours dans son appartement, se démène dès qu'elle le peut pour tenter de savoir où son mari est détenu. " (Emmanuel Macron, le 13 septembre 2018 à Bagnolet).
Le Président de la République Emmanuel Macron s'est rendu chez Josette Audin (87 ans) à Bagnolet ce jeudi 13 septembre 2018 pour reconnaître la responsabilité de l'État français dans la disparition, la torture et la mort de son mari Maurice Audin. Qui fut Maurice Audin ? Né le 14 février 1932 à Béja (en Tunisie), militant communiste et indépendantiste en Algérie, Maurice Audin fut un doctorant en mathématiques à l'Université d'Alger quand la guerre d'Algérie éclata. Il travaillait alors sur les espaces vectoriels. Il fut l'un des rares à "avoir soutenu" sa thèse de doctorat après sa mort, son directeur de thèse ayant présenté ses travaux le 2 décembre 1957 (son mémoire était quasiment achevé). Dans le jury de thèse, était présent l'illustre Laurent Schwartz, comme rapporteur.
Comme Josette, enseignante dans un lycée à Alger, Maurice Audin fut un Français anticolonialiste favorable à l'indépendance de l'Algérie. En pleine Bataille d'Alger, Maurice Audin fut arrêté et enlevé à son domicile à Alger le 11 juin 1957. Plus aucune trace n'existe aujourd'hui après cette date. Officiellement, il aurait réussi à s'évader le 21 juin 1957, selon une information adressée à sa femme le 1 er juillet 1957. Faute d'éléments nouveaux, le 1 er juin 1963, le tribunal de grande instance d'Alger a établi l'acte de décès de Maurice Audin au 21 juin 1957. Cette décision fut confirmée par le tribunal de grande instance de Paris le 27 mai 1966.
L'historien Pierre Vidal-Naquet (1930-2006), militant contre la torture en Algérie, a apporté un écho médiatique très fort à la disparition mystérieuse et inquiétante de Maurice Audin en publiant un livre sur "L'Affaire Audin" en mai 1958 (qui fut ultérieurement complété). Seulement bien plus tard, le général Paul Aussaresses (1918-2018) a reconnu le 16 mai 2001 qu'il avait donné l'ordre au lieutenant Charbonnier d'interroger Maurice Audin. Ce fut cependant après la mort du général Aussaresses que le journaliste et réalisateur de documentaires Jean-Charles Deniau a révélé le 8 janvier 2014 dans le journal Soir 3 sur France 3 que le général Aussaresses lui avait confié qu'il aurait donné l'ordre de torturer puis tuer Maurice Audin, dans le cadre d'un travail d'investigation (qui a donné lieu à un livre publié en 2014, "La Vérité sur la mort de Maurice Audin").
Je ne suis pas contemporain de la guerre d'Algérie, période trouble sur laquelle il me serait difficile d'avoir un avis éclairé en me replaçant dans le contexte. J'aurais probablement évolué entre une Algérie française maintenue, où les Algériens seraient pleinement citoyens français avec tous les droits civiques, au risque de faire, soixante ans plus tard, pour des raisons démographiques, une France algérienne, et une Algérie indépendante, en bonne relation et association avec la République française.
J'aurais probablement "suivi" les positions du Général De Gaulle qui ont, elles aussi, évolué en cours de route. Il faut d'ailleurs rappeler l'histoire : à part l'Indochine (par nécessité), le Maroc et la Tunisie, le (seul) décolonisateur en France, ce fut De Gaulle, soucieux d'un humanisme qui prônait avant tout la libération des peuples. Ce ne fut pas la "gauche", elle qui fut traditionnellement (au contraire) colonisatrice (à l'instar de Jules Ferry).
Ce que je sais, c'est qu'à l'époque de la guerre d'Algérie, je n'aurais jamais été du côté des poseurs de bombes, qu'ils fussent du FLN ou de l'OAS. Ce que je sais, c'est que je n'aurais jamais été du côté des tortionnaires, des tueurs, des prêcheurs de haine. Ce que je sais, c'est que je n'aurais jamais été un militant communiste. Mais Maurice Audin était d'abord un mathématicien. Il fut avant tout un scientifique engagé, comme de nombreux scientifiques de l'époque. Il était a priori une innocente victime de la recherche de terroristes. On dirait aujourd'hui, une victime collatérale.
Bravo au Président Emmanuel Macron, fortement encouragé par le mathématicien et député LREM Cédric Villani, d'être allé voir Josette Audin pour lui demander pardon au nom de la France. Oui, parfois, l'honneur, c'est de reconnaître la honte. C'est un acte de courage. La veuve peut mourir sereinement. Oui, la France, l'État français, a pu être parfois odieux, anti-humaniste, et même, profondément écœurant. Ce n'est pas remuer le passé. C'est tourner enfin une des pages nauséabondes de la France. La torture en Algérie, un fait si longtemps inavoué par les pouvoirs publics.
Emmanuel Macron a notamment déclaré le 13 septembre 2018 : " Maurice Audin n'a jamais réapparu et les circonstances exactes de sa disparition demeurent floues. (...) Quoi qu'il en soit précisément, sa disparition a été rendue possible par un système dont les gouvernements successifs ont permis le développement (...). Ce système a été le terreau malheureux d'actes parfois terribles, dont la torture, que l'affaire Audin a mis en lumière. (...) En échouant à prévenir et à punir le recours à la torture, les gouvernements successifs ont mis en péril la survie des hommes et des femmes dont se saisissaient les forces de l'ordre. En dernier ressort, pourtant, c'est à elle que revient la responsabilité d'assurer la sauvegarde des droits humains et, en premier lieu, l'intégrité physique de celles et de ceux qui sont détenus sous leur souveraineté. ".
Et d'ajouter : " Il importe que cette histoire soit connue, qu'elle soit regardée avec courage et lucidité. Il en va de l'apaisement et de la sérénité de ceux qu'elle a meurtris, dont elle a bouleversé les destins, tant en Algérie qu'en France. Une reconnaissance ne guérira pas leurs maux. Il restera sans doute de l'irréparable en chacun, mais une reconnaissance doit pouvoir, symboliquement, délester ceux qui plient encore sous le poids de ce passé. C'est dans cet esprit, en tout cas, qu'elle est pensée et aujourd'hui formulée. (...) Il en va (...) du devoir de vérité qui incombe à la République française, laquelle dans ce domaine comme dans d'autres, doit montrer la voie, car c'est par la vérité que la réconciliation est possible et il n'est pas de liberté, d'égalité et de fraternité sans exercice de vérité. La République ne saurait, par conséquent, minimiser ni excuser les crimes et atrocités commis de part et d'autre durant ce conflit. La France en porte encore les cicatrices, parfois mal refermées. ".
Ce n'est pas la première fois. Le Président Jacques Chirac a reconnu la responsabilité de la France dans les rafles du Vel' d'Hiv' le 16 juillet 1995. François Hollande et Emmanuel Macron ont poursuivi de travail de mémoire, respectivement les 22 juillet 2012 et 16 juillet 2017. De son côté, le Président Nicolas Sarkozy, le 14 janvier 2007 et dans quatre autres meetings électoraux, a mis à l'honneur le destin tragique de Guy Môquet, militant communiste assassiné le 22 octobre 1941 à l'âge de 17 ans : " Il était profond, il était grand, Guy Môquet quand il fut fusillé par l'occupant ! " (17 mars 2007 à Paris) et comme Président de la République le jour de son investiture, le 16 mai 2007 : " Un jeune homme de 17 ans qui donne sa vie à la France, c'est un exemple non pas du passé mais pour l'avenir. ". Tous, d'une certaine manière, ont été capables de maintenir l'honneur de la France en y purgeant le déshonneur, la honte et l'infamie. Pour Maurice Audin, même soixante et un ans plus tard, ce n'est que justice et honneur. Bravo et merci ! La République ne doit plus être cynique, elle doit être transparente.
Quant à l'Algérie d'aujourd'hui, sa classe politique s'apprête à reconduire en avril 2019, pour un cinquième mandat de cinq ans, son Président malade et vieillissant Abdelaziz Bouteflika (81 ans), au pouvoir depuis le 27 avril 1999...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (14 septembre 2018)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Michel Audin.
Déclaration d'Emmanuel Macron sur Maurice Audin (13 septembre 2018).
Emmanuel Macron et le Vel d'Hiv (16 juillet 2017).
François Hollande et le Vel d'Hiv (22 juillet 2012).
Discours de Jacques Chirac du 16 juillet 1995 (texte intégral).
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180913-maurice-audin.html