" Notre caractère est déterminé par l'absence de certaines expériences plus encore que par celles que l'on fait. " (Nietzsche, 1878).
C'est ce mercredi 12 septembre 2018 à 15 heures, pour la rentrée parlementaire, que le nouveau Président de l'Assemblée Nationale sera élu par les députés en séance publique, pour prendre la succession de François de Rugy, nommé ministre le 4 septembre 2018 en remplacement de Nicolas Hulot. Ce petit jeu de chaises musicales a fait un heureux, l'actuel président du groupe LREM à l'Assemblée Nationale, Richard Ferrand, qui a une grande probabilité d'être élu au perchoir.
En effet, lors de leur réunion en séminaire à Tours le 10 septembre 2018, les 310 députés du groupe LREM ont désigné leur candidat. Comme ils ont la majorité absolue au Palais-Bourbon, leur choix sera nécessairement le choix de l'ensemble des députés. Quatre candidats étaient en lice dont le favori, Richard Ferrand, qui a obtenu 187 voix sur 299 votants et 291 exprimés. Une victoire large mais pas un plébiscite unanime (moins des deux tiers). Si deux candidats ne représentaient qu'eux-mêmes (Philippe Folliot 4 voix et Cendra Motin 15 voix), la candidature de l'ancienne ministre écologiste Barbara Pompili, actuelle présidente de la commission pour le développement durable, a obtenu 85 voix, ce qui est notable.
Mais dès lors que la redoutable présidente de la commission des lois, Yaël Braun-Pivet, furtive candidate, a renoncé le jour même de sa candidature, le 6 septembre 2018, après avoir qualifié Richard Ferrand de représentant de "l'ancien monde", renoncement après un coup de téléphone de Matignon ou de l'Élysée, il n'y avait plus beaucoup de suspens.
Comme je l'ai évoqué précédemment, le pouvoir actuel a raté l'occasion d'une véritable ouverture politique, celle d'installer au perchoir une femme pour la première fois dans l'histoire de la République. Mais encore fallait-il que ce ne fût pas la seule qualité du prochain locataire de l'Hôtel de Lassay !
Ainsi, la campagne interne de Barbara Pompili était assez désastreuse puisque son seul argument était d'être une femme. Or, si effectivement, elle est bien une femme, c'était un peu court politiquement pour oser espérer s'imposer et devenir le quatrième personnage de l'État (désolé pour le masculin).
Et comme représentante de "l'ancien monde", Barbara Pompili était bien placée avec ses multiples retournements de veste : coprésidente du groupe des écologistes en 2012, sous-ministre socialiste en 2016 et députée En Marche en 2017, elle représente exactement ce que les électeurs détestent, l'arrivisme, ici dans sa version pseudo-écologiste comparable à celle de Jean-Vincent Placé (qui vient d'être condamné pour violences le 10 septembre 2018 à trois mois de prison avec sursis) et François de Rugy (ce dernier étant le champion puisqu'il a été candidat à la candidature socialiste à l'élection présidentielle !).
On peut regretter raisonnablement l'absence, au sein du groupe des députés LREM, de femmes d'État d'expérience qui auraient eu vocation à être Présidente de l'Assemblée Nationale, de la carrure d'une Simone Veil, d'une Michèle Alliot-Marie, d'une Ségolène Royal ou même d'une Christiane Taubira. Mais c'est la caractéristique de tout nouveau parti politique. Rien n'empêche que la fonction crée la personne qui l'occupe, si le "casting" est bon. Ce ne fut pas le cas de François de Rugy. Espérons le contraire pour Richard Ferrand.
En ce sens, Richard Ferrand est l'hypothèse la plus "juste" des engagements présidentiels et il a eu raison de dire qu'il n'était pas un "chouchou" et qu'il a été normalement élu par des députés eux aussi légitimes. Ce procès en favoritisme pourrait être fait pour quasiment tous ses prédécesseurs.
Rappelons par exemple l'élection au perchoir de 1978, au pire moment du conflit chiraco-giscardien. Edgar Faure, ancien radical et donc centriste, Président sortant (élu en 1973), a voulu se faire reconduire. Il a été activement soutenu par le RPR de Jacques Chirac (Edgar Faure avait été nommé ministre par les gaullistes). Pour éviter la victoire du RPR, les giscardiens de l'UDF centriste (parti tout nouveau) ont soutenu au contraire Jacques Chaban-Delmas, pourtant baron gaulliste (adversaire présidentiel de Valéry Giscard d'Estaing en 1974 et opposant récurrent de Jacques Chirac). Résultat, Jacques Chaban-Delmas, dont la légitimité historique était déjà acquise, fut élu à fronts renversés !
Richard Ferrand, qui n'est député (breton) que depuis juin 2012 (élu avec la photo de François Hollande sur l'affiche), est plutôt dans le cas de Bernard Accoyer. Ce dernier fut président du groupe UMP à l'Assemblée Nationale lors du mandat de Jacques Chirac puis Président de l'Assemblée Nationale lors du mandat de Nicolas Sarkozy (et fut désigné secrétaire général de LR après la désignation de François Fillon lors la primaire LR de novembre 2016).
Après avoir été socialiste, Richard Ferrand a sympathisé avec Emmanuel Macron, alors Ministre de l'Économie, en étant rapporteur de la loi Macron. Richard Ferrand fut même le premier député à croire en la démarche présidentielle d'Emmanuel Macron. En 2016, il fut le secrétaire général du mouvement En Marche pour organiser la campagne présidentielle et, après un court passage dans un ministère ( écarté à cause d'une affaire judiciaire), il a pris en main en juin 2017 le pléthorique groupe des députés LREM, pour la plupart novices non seulement du Palais-Bourbon mais aussi de l'engagement politique en général. Cette fonction de président du groupe LREM sera donc probablement vacante dans quelques heures.
Parmi les responsabilités qu'avait assumées Richard Ferrand jusqu'à maintenant, il y avait aussi le poste déterminant de rapporteur général de la réforme des institutions. Vu la difficulté des débats parlementaires sur cette réforme très mal engagée en juillet 2018, son successeur à ce rôle essentiel aura une responsabilité très forte dans le dispositif du gouvernement actuel.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (11 septembre 2018)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Résultat de l'élection du nouveau Président de l'Assemblée Nationale du 12 septembre 2018.
Richard Ferrand, l'adjudant-chef promu maréchal.
Il faut une femme au perchoir !
Emmanuel Macron.
Édouard Philippe.
Nicolas Hulot.
Christophe Castaner.
La XVe législature.
Richard Ferrand et son affaire.
François de Rugy.
Claude Bartolone.
Patrick Ollier.
Jean-Louis Debré.
Raymond Forni.
Laurent Fabius.
Philippe Séguin.
Henri Emmanuelli.
Jacques Chaban-Delmas.
Edgar Faure.
Édouard Herriot.
Vincent Auriol.
Paul Painlevé.
Léon Gambetta.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180912-richard-ferrand.html