Ah, sapristi de saperlipopette, quelle évolution depuis le mois de juin ! Rappelez-vous, c’était ce mois où, frappé d’une lucidité minutieusement calculée, le président Macron « découvrait » que les dépenses de l’État représentaient « un pognon de dingue » pour, en face, un résultat franchement médiocre…
Après cette fugace prise de conscience, on s’attendait donc à la mise en place de mesures en rapport : allait-on lancer des économies drastiques ? Allait-on auditer les services de l’État et des administrations pour les remettre au niveau de l’argent prélevé ? Allait-on commencer à couper dans les services les moins utiles, les fonctions les plus discutables, les rentes les plus établies et les moins justifiées ? Allait-on se concentrer, enfin, sur l’essentiel et laisser tomber les palettes de superflu ?
Il y avait, on le comprend, mille et une façons de procéder.
Dans ces mille et une façons, insister pour le prélèvement à la source, le Pass Culture ou les limitations à 80 km/h échappe quelque peu à la logique d’ensemble. En revanche, envisager fermement de réduire la voilure considérable de l’État un peu partout dans la vie du citoyen, sur le territoire ou au travers de ses millions de taxes, cerfas et règlements rigolos, cela rentre parfaitement dans ce cadre.
On ne sera dès lors qu’assez peu étonné de lire de temps en temps l’annonce d’une suppression de postes dans l’une ou l’autre administration du Leviathan. Et dernièrement, à la faveur d’un remaniement ministériel écolo-propulsé, on a appris la volonté du chef de l’État de supprimer 1600 postes au ministère des Sports.
Comme de bien entendu, la nouvelle a fait l’effet d’une catastrophe majeure : tout indique, « étude » d’ « économiste » à l’appui, que ce nombre est bien trop élevé, que le ministère ne s’en remettra pas et que le sport, en France, va péricliter dans un petit couic misérable si jamais ces suppressions devaient effectivement avoir lieu.
Parallèlement, c’est avec la même stupeur et la même panique lisible dans les yeux humides de toute la politicaillerie française qu’on découvre qu’est conservé – malgré tout – l’objectif initial de supprimer 120.000 postes de fonctionnaires d’ici la fin du quinquennat de Macron.
Coupes sombres abominables, austérité sans précédent, destruction de nos services publics, privatisation effrénée, « on est à l’os » : aucune expression ne nous sera épargnée pour bien faire comprendre l’ampleur de ce véritable massacre de la fonction publique !Et quand bien même les uns et les autres s’accordent mollement à dire qu’il faudra pourtant faire des économies quelque part, tant les gabegies, les dettes, déficits et autres dérives comptables s’empilent dans le pays depuis trop longtemps, personne en revanche ne semble prêt à se retrousser les manches pour mettre en place la moindre mesure concrète de réduction des dépenses. Les coupes de personnel, c’est un peu comme les éoliennes : c’est moche, ça fait du bruit et personne n’en veut dans son pré carré.
Du reste, le nombre de 120.000 postes semble gros mais cache pourtant l’essentiel : la fonction publique, en France, c’est plus de 5.4 millions d’individus, soit 1 emploi sur 5 en France (oui, 20%). La suppression, parfaitement hypothétique à ce stade, de 120.000 postes représente un petit 2.2% en quatre ans, ce qui est tout sauf énorme et se traduit essentiellement par un non renouvellement des départs à la retraite. Question douleur, ce sera en réalité fort modéré.
D’autant que les années passées, la masse salariale dépendante de l’État et de ses administrations nationales ou locales n’a pas cessé d’augmenter, et dans des proportions qui font passer ce 2.2% très ponctuel comme une aimable plaisanterie au regard du cumul, années après années : en 1980, l’emploi public ne représente alors que 17,5% de l’emploi total (pour moins de 4 millions d’agents concernés) et il lui a donc fallu grossir pour dépasser les 5 millions et les 20% de l’emploi total.
En comparaison, les 1600 postes du ministère des sports ou les 120.000 destinés à disparaître sur les quatre prochaines années paraissent bien timides.
Et ils le resteront : en pratique, il n’est qu’à voir les précautions oratoires déjà utilisées pour tempérer ces ardeurs dégraissantes pour comprendre qu’il y a fort loin de l’objectif affiché à la réalisation concrète : ces réductions ne sont pas « l’alpha et l’omega » de la politique gouvernementale, et puis de toute façon, une majeure partie de ces réductions devraient être opérées par les collectivités territoriales qui – comme c’est commode – ont une certaine liberté d’administration. Ce qui veut dire que pour la partie nationale, rien n’est écrit dans le marbre, et pour la partie locale, attendez-vous à de gros ajustements.
En somme, l’État obèse va peut-être faire un effort, mais ce n’est pas dit. Et vous reprendrez bien un peu de dette ?
Apeuré par le départ précipité de Hulot, Macron n’a pas voulu tenter le diable en s’opposant à Philippe et Darmanin au sujet du prélèvement à la source. Tout comme les mesures idiotes sur la limitation à 80 km/h finiront par coûter cher au pouvoir en place, cette « réforme » qui prend de plus en plus tournure en méforme fiscale va provoquer la colère de beaucoup de Français qui pourront tester, en direct, la puissance de l’État informaticien lorsqu’il calcule et ponctionne l’impôt.
Ainsi, plutôt que de vraies réformes de fond (et de fonds), courageuses et profondes, Macron s’est rapidement embourbé dans les bricolages technocratiques propulsés par Philippe, sa clique énarchique et les pesants ronds-de-cuir l’accompagnant (dont Darmanin représente l’archétype frisé). En lieu et place d’une sévère cure d’amaigrissement de l’État, Macron s’est très promptement rangé aux mesures les moins piquantes, les pilules les plus faciles à faire passer. Sabre au clair et monté sur son petit poney électoral, il a vaillamment trottiné les premières semaines de pouvoir, mais s’est épuisé bien vite. À présent, le voilà broutant en rase campagne, déclamant des discours creux croyant que ceux-ci intéressent la prairie autour de lui.
Au bout d’un an, la République qui croule sous les dettes, les déficits, la perte de repères et les abandons de toutes parts est à nouveau orpheline de toute volonté de remettre les choses d’équerre. Les objectifs fixés en début de quinquennat sont tous revus à la baisse les uns après les autres, passant de modestes à humbles et s’approchent maintenant du pusillanime avec une application qui frise la psychiatrie lourde.
De même qu’il n’y a pas davantage de réformes que de simplification de quoi que ce soit, il n’y a pas davantage d’économie et d’austérité que de beurre en broche. La fête continue, sans faiblir.
Dès lors, ce pays est foutu.