J’ai présenté Empreintes de crabe la semaine dernière sur Africa n°1 suite à la sympathique invitation de Stephanie Hartmann. C’est un format intéressant où il était avant tout question que j’aborde mes coups de coeur de la rentrée littéraire. J’y ai surtout parlé de mes coups de coeur sur l’année 2018.
Un point de vue de l'histoire qui pourrait déranger
En abordant le roman de Patrice Nganang, Empreintes de crabe, j’ai évoqué le texte dans ses axes saillants. J’aurais l’occasion de produire une chronique à ce livre. D’ailleurs, je suis très embêté de devoir publier cet article pour justifier un aspect de mon intervention. Mais, voilà l’auteur a jugé ma prestation médiocre et m’associe à la bamiphobie. Sur la médiocrité de mon intervention, elle relève de son interprétation. La seconde accusation est beaucoup plus lourde de sens. Racisme. Xénophobie. Antisémitisme. Bamiphobie. La haine du bamiléké. Rien que cela. Naturellement, je ne prends pas cela à la légère car des écrivains de la trempe de Patrice Nganang pèsent bien leurs mots là où les blogueurs à nos heures gagnées ou perdues, en dehors d’un open space, nous pouvons parfois nous montrer légers. Je serai donc Bamiphobe. Que les bamilékés qui écouteront cette émission sur Africa n°1 me pardonnent s’ils se trouvent offensés par un propos chargé de haine et qui s’inscrirait dans le prolongement d’un contexte culturel français ayant une influence en Francophonie, et au Cameroun. Ce pays étant en prise en conflit armé où de nombreuses vies sont frappées, je veillerai à ne répondre qu’à l’aspect littéraire du point qui a fait grincer les dents de l’écrivain camerounais.« Je constate aussi que ca semble déranger Lareus Gangoueus, que je parle des Bamiléké. 'Ca pourra géner. Ca dépend de quelle manière on se positionne.' Et grossomodo il se rassure, en mentionnant mille fois des jeunes auteurs qui suivent mes pas, auteurs bassa tous les deux qui ne parlent qu'exclusivement de la culture bassa dans leur livres, cad. du maquis en zone bassa, que j'aie aussi ecrit des livres sur d'autres tribus, comme quoi ça me fait passer l'examen d’être pluri-ethnique ». (1)Je vous prierai de réécouter l’émission pour m’indiquer si l’intention qui était la mienne visait à contester le fait d’écrire l’histoire de la « décolonisation camerounaise » du point de vue bamiléké. Je m’autorise les guillemets, parce que l’histoire camerounaise rappelle que la décolonisation en Afrique francophone est factice. Et dans mes interventions sur le maquis camerounais, je souligne expressément que d’autres auteurs après Mongo Béti, ont osé mettre des mots sur cette histoire tue de ce pays. L’histoire d’une révolution camerounaise qui s’est terminée avec le procès de Ouandié en 1970. Le livre de Patrice Nganang est exceptionnel. Ce qu’il dit du maquis camerounais en pays bamiléké est terrible, troublant et plein de nuances. Les personnages sont remarquablement travaillés. J’y reviendrai dans ma chronique. Ecrire du point de vue Bamiléké, en gênerait certains. Où est le problème? C’est exactement ce que dit ce livre. On parle de génocide en pays bamiléké. L’écrivain se définit comme Bamiléké la où d’autres ont utilisé leur culture comme toile de fond, éléments pour traduire des humanités confrontées à l’horreur. Il y a un ethnocentrisme intéressant à analyser parce que dans ce roman, il vise avant tout à aller à la rencontre de l’autre. N’est ce pas Ouandié qui nuance les velléités bamiléké pour rappeler à Singap que le combat mené est national et ne saurait se construire sur une seule communauté.Cette sortie n’est donc pas une critique. J’ai tenu à l’inscrire dans un contexte. Pourquoi la découverte de la culture bamiléké me poserait-elle problème ? En quoi me dérangerait-elle ? C’est insensé. Par contre, je suis forcément influencé par les les posts de l’écrivain sur les réseaux sociaux et les réactions qu’ils suscitent. Le « certains » renvoie à ceux qui ne perçoivent l’écrivain que par ses postures publiques très clivantes.
Ethnocentrisme dans l’espace francophone
"Des gens qui me disent: 'Patrice, qu'est-ce qui ne va pas? Nous on ne t'a jamais vu comme Bamileke.' C'est extraordinaire ca. Personne ne viendrait jamais a l'idee de parler ainsi a Chimamanda Adichie - 'on ne t'a jamais vue comme Igbo.' Personne ne viendrait jamais parler ainsi a Wole Soyinka - 'on ne t'a jamais vu comme Yoruba.' Ni de Kourouma: 'On ne l'a jamais vu comme Malinke.' Et bien sur, personne ne parlera jamais ainsi de Achebe: 'On ne l'a jamais vu comme Igbo.' Bien au contraire, la culture Igbo, la culture Yoruba, la culture Malinke, toutes sont célébrées avec les oeuvres de ces auteurs, mais une présentation identique de soi comme Bamileke, 'ca pourra gener certains.’ (2)
C’est l’une des forces du roman de Patrice Nganang. En le lisant, je pensais également à certains textes nigérians. Mais permettez moi de signaler que les parallèles proposés sont discutables en reprenant le paramètre que Nganang introduit : le modèle français. Un modèle jacobin. Un modèle où les pouvoirs sont centralisés et assimilent. Là où le Nigéria fonctionne comme une fédération. Ecrire du point de vue igbo, yorouba est naturel dans un tel contexte pour Achebe, Buchi Emecheta. Cela va de soi même. Pour les auteurs igbo, on dépasse le cadre sociologique, anthropologique pour porter parfois un projet politique ou une mémoire comme Chimamanda Ngozi Adichie l’a fait dans son roman L’autre moitié du soleil (qui renvoie au drapeau Biafrais, un peu comme le Crabe pour les UPCistes). La référence à Kourouma est beaucoup discutable. Il n’y a pas de projet politique dans la démarche de l’écrivain ivoirien. La culture malinké est forte, magnifiée, mais elle n’est pas une menace clivante pour la Côte d'Ivoire. Dans l’espace francophone, la démarche est forcément suspecte. A cause du modèle jacobin. A cause des structures. Un groupe minoritaire au pouvoir écrase d’autres populations pour sauvegarder l’héritage de Berlin.Dans des espaces centralisés, cette parole qui éveille les consciences gênera sur un sujet où une parole unique s'est imposée sur une communauté martyrisée. Elle gênera certains. Je ne biaise pas. C'est le sens de mon intervention pour défendre un roman que j'ai aimé et être accusé par son auteur de haine contre son ethnie... Mais, c'est un écrivain, il mesure le poids de ses déclarations.Citations (1) et (2) extraites de l'article de P. Nganang sur Facebook : Bamiphobie comme culture française.Africa n°1 - Le livre de la semaine de Stéphanie Hartmann