Que peut-on donc faire avec l’argent des autres ? Le dépenser, pardi, et largement encore ! Quoi de mieux pour cela qu’en futilités et autres biens de seconde voire de troisième nécessité ? Et qui, mieux que l’État, pour vous dire comment claquer avec brio ces sommes récupérées sur le dos des autres ? Joie, bonheur et crêpes au sucre : c’est justement ce que le Pass Culture va bientôt vous permettre !
Et si vous ne connaissez pas la nouvelle et frétillante initiative du gouvernement dans le claquage d’argent gratuit des autres, discipline devenue olympique en France depuis une quarantaine d’années, rappelons simplement que le Pass Culture est ce bidouillage social promis par le candidat Macron durant sa campagne présidentielle afin de ratisser les voix des plus jeunes. Dans l’esprit, ce Pass Culture concerne en effet les jeunes adultes et est destiné à aider leur accès à la culture, en leur fournissant des réductions sur certaines manifestations et produits culturels de tous types.
Ce montage, plutôt flou pendant la campagne, s’est progressivement précisé au fil des mois. Petit-à-petit, ce qui n’était probablement qu’une énième idée idiote lancée en l’air s’est concrétisée en idée idiote lancée comme un pavé dans la mare de finances publiques pourtant particulièrement stressées : et si on donnait 500 euros aux jeunes adultes à leurs 18 ans afin de les pousser vers certains biens et services culturels ?
Voyant que tout le monde semblait trouver parfaitement normal de cramer ainsi une somme assez rondelette à ce genre de dépense, le gouvernement s’est donc lancé dans la mise en place de la nouvelle tubulure destinée à arroser ce nouveau public. Il y a quelques jours, la ministre de la Culture Françoise Nyssen a donc dévoilé certains contours de ce Pass Culture.
Présenté de façon grandiloquente comme un « GPS de la culture » (on a le droit de pouffer), ce Pass se verra doté d’une application mobile permettant de géolocaliser les offres culturelles. Compte-tenu du passé de l’État en matière d’informatique en général et d’application mobile en particulier, on peut raisonnablement tabler sur une bouse d’ampleur modérée qui sera testée sur 10.000 jeunes et cinq départements dans les prochains mois.
Jusque là, on pourrait croire à une simple et nouvelle façon de dépenser l’argent des autres. Mais là où les choses prennent une tournure cocasse, c’est lorsqu’on apprend que, mais oui enfin, rien n’empêchera nos jeunes citoyens de claquer leur Pass sur Netflix ou Spotify.
Oh, attention ! Comme de juste avec tout ce qui vient de l’État, il y aura des conditions, des règles, des encadrements et probablement l’un ou l’autre cerfa solidement numéroté pour éviter toute dérive, comme par exemple claquer tout ce Pass sur les offres en ligne. Non mais oh !
Il apparaît en effet que ce Pass ne pourra pas financer votre abonnement Netflix plus de deux ans. De la même façon, ces mêmes autorités ont jugé nécessaire de limiter les dépenses pour les CD ou les DVD. Quant à la presse en ligne ou papier, il sera possible de s’y abonner grâce à ce Pass sauf, bien entendu, les « tabloïds à risque » dont on se doute qu’il existera une liste tenue scrupuleusement à jour par la Kommandantur le Ministère.
Ah, et bien évidemment, on ne pourra pas utiliser ce Pass sur Amazon (car Netflix : bien, Amazon : mal) et on devra donc se faire livrer en librairie toute commande de livres. Parce que, voyez-vous mes petits amis, les déplacements supplémentaires jusqu’au marchand le plus proche sont forcément écologiques et optimaux. Quelle brillante idée !
Et surtout, quelle belle cohérence d’ensemble !
Un coup, l’État ne peut supporter l’idée que les nouvelles technologies viennent ainsi tout écrabouiller sur leur passage, à commencer par la culture locale. Il se fait donc fort de tout faire pour bouter Netflix hors de France, avec un certain succès puisque ce dernier a eu la judicieuse idée de ne pas y installer ses centres de données ni son siège social européen, de ne pas y créer d’emplois, de ne pas y payer ses taxes et de ne pas lui faire profiter de cette opportunité économique dont elle n’aurait eu que faire de toute façon, son opulence actuelle devenant presque embarrassante.
Mais ensuite, voilà le même État qui subventionne directement l’ennemi infâme d’hier. Mieux : il en profite pour faire un croc en jambe à l’autre Némésis (Amazon) qui a eu, lui, la bêtise de s’installer quand même dans le pays. Peut-être la manœuvre vise-t-elle à faire enfin fuir le géant de la distribution qui a l’outrecuidance d’embaucher à tour de bras dans le pays ? Il serait temps : le chômage est bien trop bas, les rentrées fiscales trop hautes et l’excédent budgétaire (et de crédibilité) du gouvernement vont finir par déclencher la jalousie du reste du monde.
Outre cette incohérence globale, on pourra s’étonner du choix du ministère : plutôt qu’orienter — flécher, dirait l’administration fiscale — les dépenses des jeunes et autres frétillants récipiendaires de cette aumône publique en donnant plutôt des bons, coupons et autres réductions orientées sur les biens culturels officiellement estampillés par la puissance publique (par exemple, les musées, bibliothèques, grandes salles de spectacles ou grands complexes culturels, …), voilà l’État qui distribue directement du pognon qui n’a d’odeur que celle d’un électoralisme putassier difficilement dissimulable. Charge à lui de mettre ensuite tous les moyens pour s’assurer que cet argent sera dépensé exclusivement là où il le veut, ce qui promet encore quelques moments forts en chocolat.
En outre, on ne s’étonnera pas davantage que ce même « pass culture » autorisera le bénéficiaire à s’acheter des jeux vidéos, parce que la culture, c’est aussi ça. Certes, pour faire bonne bonne mesure, il faudra que ces derniers aient reçu un aval quelconque (ici, la sanction du CNC), histoire de faire croire que le contribuable serait en quelque sorte gagnant : il paie via le CNC pour qu’un jeu soit financé, puis il paie via le Pass pour qu’il soit acheté, ce qui permet à une société française d’augmenter ses ventes. Un petit pas pour le joueur, le vendeur et le développeur, un grand bond en avant vers un déficit public supplémentaire pour le contribuable, qui devra donc se réjouir d’une distribution publique pour un bénéfice privé.
Tout cela sent bon la mise en place d’une nouvelle dépense somptuaire dont les effets de bord, ni documentés, ni même envisagés, promettent quelques moments de stupeur.
À la suite de quoi les détracteurs du gouvernement actuel, l’haleine chargée de haine et d’alcools bon marché, nommeront cela « turbolibéralisme ». Les journalistes, tout aussi incultes, reprendront ça tous en chœur, et le peuple, cornaqué par tous ces imbéciles, n’aura alors le choix que d’en remettre une couche aux prochaines élections en se demandant bien pourquoi, malgré le vote obstiné et constant pour ce ramassis de crétins, la situation empire.
Enfin, regardons le bon côté des choses : des centaines de milliers de jeunes vont recevoir 500 euros en provenance directe du cul d’une licorne pour regarder Netflix, s’acheter le dernier DVD de Booba (ou Kaaris, ne soyons pas sectaires) ou ne pas commander de livres sur Amazon.
Comment ne pas s’en réjouir ?