Les éditions Obsidiane publient une anthologie des écrits de Jean-Michel Frank. Jean-Michel Frank (1922-1988) aura donné neuf livres de son vivant, plus un posthume. C'est Jean Paulhan qui l'avait découvert, publiant son premier ouvrage dans la fameuse collection « Métamorphose », en 1960. Le prix Max Jacob lui échoit en 1981, comme par mégarde car c'est un auteur ignoré de la critique, bien que ses poèmes, d'une extrême délicatesse et teintés d'humour subtil, soient tenus en grande estime par Yves Bonnefoy, Lorand Gaspar, Jean Grosjean ou encore Philippe Jaccottet. Jean-Michel Frank publia ses livres chez Gallimard, Grasset et Obsidiane (Musique raison ardente, 1983, Changer d'Orient, 1988 et A vos marques, 1989)
Ce livre est le dernier de la collection « Les Solitudes » de l’éditeur Obsidiane : « ce poète, reclus et valétudinaire, avait été l’un des premiers à inscrire son nom dans la collection Les Solitudes où il figurera à trois reprises ; il nous a paru opportun que la collection se referme sur cette anthologie constituée de poèmes issus de ses trois livres. »
GOETHE
Son temps n’était pas encore venu quand il mourut vieux déjà
Lui
L'homme de la promesse
O rupture des âmes chimériques
Reflets nocturnes
Esprit conteur
N'attendez pas de ma terre endeuillée
D’autre message
Que le poignant hiver
Du sérieux de l'allégresse et mille communes misères
Ont fait du doux mentor
Un maître à mourir
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PAYSAGES D'HIVER
(I)
Au jardin, le rouge-gorge et le perce-neige faisaient toute ma compagnie, mais ils étaient vêtus d'hermine et de pourpre...
Je montais par la cavée de lierre enneigée. Là-haut, c'était la tempête et je croyais voir les carnes de la Bérézina danser dans un nuage de corbeaux.
(II)
Le gel émiettait les figures.
Il détachait les fantômes des vieux murs.
Il effaçait la route, faisant bomber le surcroît des terres.
Alors, je vis sur le fond du bois la flamme que les bûcherons venaient d'allumer.
C'était le feu des Miniatures, des Tapisseries, des Riches Heures en hiver...
Le rouge inchangé du Noël rustique.
(III)
C'est à nouveau la nuit fériale qui vit naître le Seigneur, qui le voit seulement, car dans la crèche aujourd'hui sans odeur, rien ne rappelle ce mélange énamouré du parfum de la myrrhe avec ceux plus sages des étables et des granges, rien ne nous dit la fragrance du Dieu.
(IV)
Par les degrés négatifs de la neige
Les trappeurs et chasseurs de bêtes froides
Envient les mouettes insensibles
Derrière l'écran noir des pins
Ils vont tirer ce loup
Encore sanglant des plaies du Nebraska
(V)
Ta maison sous le givre
Comme un sanglot figé
C'est le plaisir d'hiver
Amer pour moi qui pleure
Les fontaines libérées
Quand les socs font vibrer
L'armure de la terre
/
ÉPITAPHE DU POÈTE
Je suis né d’un tremble et d’un souci
Racket mineur et sans emploi,
Traitant idiot le petit Chose.
Triste Corbière et pur souci
Tristes corbeaux.
Jean-Michel Frank, « Les funestes Roses de ma tête », (une anthologie), coll. Les Solitudes, éditions Obsidiane, 2018, 139 p., 16€, pp. 31, 65/66 et 101.