Critique du Prénom, de Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patellière, vu le 6 septembre 2018 au Théâtre Édouard VII
Avec Florent Peyre, R. Jonathan Lambert, Marie-Julie Baup, Sébastien Castro, et Lilou Fogli, dans une mise en scène de Bernard Murat
Qui ne connaît pas Le Prénom ? Pour ceux qui, comme moi, auraient manqué la version théâtrale, un film a été tourné à la suite de son succès permettant au texte de se faire connaître, et ce pour mon plus grand bonheur. Car Le Prénom est un film que j’adore, que j’ai vu plusieurs fois et qui fait partie de mes classiques : pour ses répliques uniques, pour son casting royal, pour son histoire rocambolesque. Redécouvrir Le Prénom au théâtre aurait donc dû être synonyme de bonne soirée. Mais il n’y a qu’un Prénom, et il ne se joue pas à l’Edouard VII cette saison.
Babou et Pierre ont invité des amis pour le dîner : Vincent, le frère de Babou et meilleur ami de Pierre, sa femme, Anna, enceinte de plusieurs mois, et Claude, leur ami d’enfance. Vincent, qui arrive bien avant sa femme, a sur lui une photo de l’échographie du matin qu’il montre à ses amis, avant de leur faire deviner le prénom qu’ils ont choisi. Seulement voilà, ce prénom-là n’est pas habituel. Il dérange. Il dérange tellement qu’au-delà de la dispute qu’il va engendrer directement, ce sont plusieurs cassures, plusieurs révélations qui vont s’enchaîner au cours du dîner, qui va exploser de toutes parts.
C’était peut-être trop tôt. Trop tôt pour reprendre ce succès auxquels sont associés de grands comédiens populaires : Patrick Bruel, la regrettée Valérie Benguigui ou encore Guillaume de Tonquédec. Trop tôt pour parvenir à les effacer derrière les différents personnages. Trop tôt pour planter, dans un même cadre, des comédiens si différents. Mais trop tôt aussi pour lancer le début des représentations. J’ai eu le sentiment d’un spectacle inabouti, dans lequel les comédiens cherchent encore leurs marques.
Ce fut l’occasion aussi de me rendre compte que la partition du Prénom n’était pas si géniale que je me l’étais figurée : elle ne résiste pas à une distribution inégale. C’était finalement davantage un film d’acteurs qu’un film d’auteurs. A travers cette représentation, j’ai pu voir les limites d’un texte que je connaissais bien, et qui était probablement sublimé d’une part par les comédiens qui l’interprétait, mais également par un montage au cordeau éliminant chaque blanc qui, même infime, aurait pu s’avérer très pesant.
Ce qui m’a le plus frappée, c’est sans doute l’absence de cohésion au sein du groupe. J’ai bien conscience que le montage du film permettait sans doute de renforcer l’atmosphère amicale qui y régnait, mais j’aurais apprécié qu’un semblant de lien social fasse son apparition sur la scène du Théâtre Edouard VII ce soir-là. Cela manque cruellement à la pièce qui n’arrive à dégager ni tension ni émotion. La situation elle-même semble reposer sur du vide. Je n’ai pas cru que les personnages qui m’étaient présentés étaient une bande d’amis d’enfance. Plutôt des comédiens perdus qui avaient vu la lumière sur le plateau et s’y étaient dirigés.
Cela commence avec Florent Peyre. J’ai bien conscience que passer derrière Bruel, c’est difficile. Je m’étonne d’ailleurs de ce choix de distribution : donner un rôle si marquant à un comédien qui n’a jamais mis les pieds sur une scène de théâtre me laisse perplexe. Dès la voix off initiale, on sent qu’il y a un couac. Qu’il n’aura pas les épaules pour porter le rôle de Vincent. Et cela ne rate pas : calquer un sourire ironique sur son visage pendant 2 heures ne suffit pas à incarner ce personnage. Celui qui se voudrait maître de cérémonie devient simple figurant – et cela fait un personnage en moins.
Cela continue avec R. Jonathan Lambert qui incarne Pierre. Lui a choisi le cri comme seule composition. D’ailleurs ce n’est que la couturière, et sa voix est déjà cassée. Je crains le pire pour la suite. Rien ne s’arrange avec l’entrée en scène de Lilou Fogli : la voix mal posée, le visage figé, l’allure empruntée, le comédienne ne parvient pas à s’en sortir avec ce rôle ingrat – et voilà encore deux personnages en moins.
Mais c’est Marie-Julie Baup qui m’a retournée le coeur. Marie-Julie Baup, que je suis depuis plus de 5 ans maintenant, que j’adore, que je vois sans cesse se renouveler, a livré ce soir-là une prestation incompréhensible. Je mettrais en cause la direction d’acteur qui la fait chouiner en permanence sans que la situation ne l’exige, mais je reste déçue par l’ensemble de la composition, qui donne lieu à un moment de bravoure qui tombe complètement à plat – et cela fait un nouveau personnage en moins.
Cela s’adoucit finalement avec Sébastien Castro. Difficile, pourtant, de passer derrière Guillaume de Tonquédec qui a fait de Claude l’un des personnages les plus touchants du film. Si Castro n’arrive pas à atteindre le même degré d’émotion, il parvient quand même à effacer l’image du comédien qui le précède pour proposer sa propre interprétation de Claude – il fait un peu du « Sébastien Castro », il est vrai, mais tient malgré tout sa composition jusqu’au bout, cohérente, convaincante.
Une déception d’autant plus amère qu’elle signe le début de ma saison 18/19. Mais ne soyons pas superstitieux : après tout, ce n’est qu’un Prénom…