Au contraire, la Chine est dans une situation inverse. Son économie ralentit en raison de la réduction des flux de crédit et du protectionnisme. Les États-Unis sont les gagnants de l’actuel conflit commercial sino-américain, son économie étant vaste et relativement fermée. La Chine, qui a profité de la mondialisation au cours des dix dernières années, est en revanche durement touchée. Cette divergence crée naturellement des frictions, le marché des changes étant le principal « canal de rupture ». Concrètement, cela se traduit par la force du dollar américain (voir le graphique ci-dessous). Un billet vert fort équivaut à un resserrement monétaire supplémentaire, notamment en-dehors des États-Unis et tout particulièrement sur les marchés émergents, où une grande partie de la dette est libellée en dollars. Un dollar plus fort signifie donc des coûts de service de la dette plus élevés pour ces pays. Le risque est une boucle de rétroaction entre les marchés locaux et l’économie globale : la divergence macroéconomique provoque un renforcement du dollar américain, qui pénalise les marchés émergents et accentue la divergence macroéconomique, se traduisant par une hausse du dollar, et ainsi de suite. Les marchés récompensent les États-Unis pour leur surperformance macroéconomique, les actions mondiales hors États-Unis étant en baisse depuis le début de l'année. Les marchés émergents sont quant à eux punis. Il en résulte un équilibre instable : soit le reste du monde accélérera, soit les États-Unis ralentiront. Le premier scénario permettra d’accentuer les prises de risques, le second nécessitera au contraire de réduire les risques. Les moteurs de l’actuelle vigueur américaine sont essentiellement cycliques (réductions d'impôts, hausse des prix du pétrole), tandis que les fragilités de l’économie chinoise semblent plus structurelles et donc persistantes (besoins de rééquilibrage financier, protectionnisme).
Ainsi, les États-Unis sont plus enclins à ralentir que la Chine et le reste du monde à accélérer. Ce scénario pourrait toutefois attendre 2019. Pour l'instant, la divergence perturbatrice domine le scénario macroéconomique. Divergence perturbatrice : la divergence macroéconomique se traduit par un dollar fort, donnant lieu à un resserrement des conditions monétaires et à une pénalisation des marchés émergents
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Quels domaines seront les prochaines classes d’actifs affectées par le resserrement monétaire ? Nous pensons d’abord aux segments les moins bien notés du marché du crédit, puis aux marchés actions dans leur ensemble. Alors, quand les actions atteindront-elles leur apogée ? De nouveau, les variations du dollar seront essentielles en raison de leur impact sur les conditions monétaires. Une appréciation supplémentaire de 5% du dollar d’ici la fin de l'année signifierait probablement un resserrement monétaire suffisant pour que les actions atteignent leur pic dans moins de six mois. D’ici là, les investisseurs devraient rester défensifs sur le marché actions. Les marchés développés, notamment le marché américain, devraient continuer à surperformer, ces pays étant moins vulnérables au ralentissement de la croissance et au resserrement monétaire. L'augmentation des risques macroéconomiques implique également davantage d’attrait pour les marchés obligataires européens et américains, le protectionnisme et le resserrement monétaire étant des facteurs déflationnistes. Les valeurs sûres et les obligations à court terme bien notées devraient être davantage recherchées au fur et à mesure que les tendances macroéconomiques actuelles seront remises en question. Les obligations sécurisées devraient se distinguer car elles peuvent offrir des rendements similaires aux obligations « investment grade » tout en étant associés à des risques plus faibles.
Quel élément pourrait au contraire orienter les marchés vers un scénario positif ? Les conditions monétaires étant un facteur clé, les banques centrales jouent naturellement un rôle central. Une stratégie plus accommodante de la Fed ou une relance de la banque centrale chinoise seraient naturellement des scénarios positifs, mais les problèmes économiques devraient s’être considérablement aggravés pour que les banques centrales changent à ce point de stratégie. Il est par ailleurs peu probable que Donald Trump devienne moins belliciste sur le front des échanges commerciaux. La croissance chinoise étant allée de pair avec des baisses de salaires pour les travailleurs américains, la politique commerciale agressive à l’encontre de la Chine pourrait permettre de conforter la place des Etats-Unis en tant que première économie mondiale, ce qui satisfait l’électorat du président américain.
A propos de l'auteur : Witold Bahrke est stratégiste Macro Senior chez Nordea Asset Management.