Il n’apporterait aucune réponse aux problèmes économiques fondamentaux en raison des hypothèses totalement irréalistes sur lesquelles il se base. Le procès fait à ce courant de pensée mériterait pourtant d’être rouvert. Car par un fascinant retournement de l’histoire, l’évolution économique récente semble avoir considérablement rapproché nos économies du modèle « idéal » théorisé voilà près de 150 ans par Léon Walras. Au centre du modèle néoclassique se situe le concept dit de concurrence pure et parfaite. Walras et ses successeurs ont en effet démontré que dans les économies régies par un tel système de concurrence, le processus de formation des prix aboutit à ce que les économistes appellent un équilibre général car il permet d’équilibrer simultanément l’offre et la demande sur l’ensemble des marchés de biens et de services comme sur le marché du travail. Arrivées à ce stade, les économies sont alors au plein emploi, il n’y a aucun gaspillage des ressources, la production de richesses atteint son maximum au moindre coût. La situation de concurrence pure et parfaite repose toutefois sur des hypothèses de fonctionnement des marchés particulièrement fortes.
Ces marchés doivent d’abord réunir un nombre important d’acteurs dont aucun n’est suffisamment puissant pour pouvoir exercer à lui seul une influence sur le niveau des prix (hypothèse d’atomicité des marchés). Ils ne sont ensuite soumis à aucune entrave susceptible de freiner l’entrée de nouveaux concurrents (hypothèse de fluidité) ou le déplacement des facteurs de production (hypothèse de libre circulation du capital et du travail). Ils réunissent des acheteurs et des vendeurs parfaitement informés des caractéristiques et des prix des produits échangés (hypothèse detransparence), produits au demeurant parfaitement standardisés (hypothèse d’homogénéitédes produits). Force est cependant de reconnaître que rares sont les marchés à satisfaire à l’ensemble de ces conditions, voire que certains les aient jamais satisfaites. Une telle faille a valu au modèle walrasien de faire l’unanimité contre lui
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n abolissant les frontières, la mondialisation a effectivement relâché comme jamais les freins à la libre circulation et ouvert la concurrence à l’échelle planétaire. Elle a également considérablement poussé à la l’uniformisation des goûts des consommateurs et par ricochet à la standardisation des produits. En permettant l’entrée massive dans tous les secteurs de nouveaux acteurs aux méthodes de production et de commercialisation révolutionnaires, l’essor fulgurant des nouvelles technologies a ébranlé jusque dans leurs fondements les monopoles les plus établis. Elle a aussi permis de comparer instantanément en quelques clics les prix des biens et des services échangés sur l’ensemble des marchés et porté la transparence à un degré inouï. Tout n’est cependant pas encore tout à fait pour le mieux dans le meilleur des mondes économiques (d’ailleurs passablement remis en cause par les velléités protectionnistes de Donald Trump). Il est en effet piquant de constater que les GAFA qui, par leurs innovations, ont le plus contribué à ce phénomène de convergence entre l’économie réelle et le modèle idéal de concurrence, constituent aujourd’hui de par leur taille et leur puissance un véritable obstacle à l’avènement de « l’ère walrasienne », et quel obstacle ! Champion de l’e-commerce, Amazon est ainsi devenue en quelques années le 6e plus grand détaillant du monde. Apple s’adjuge désormais 51% du marché mondial du smartphone.
Et que dire de Google qui capte à elle seule 90% de part de marché des moteurs de recherche…on est effectivement très loin du compte en matière d’atomicité dans le secteur des technologiques. Reste qu’« à tout bien considéré, il semble que l’Utopie soit beaucoup plus proche de nous que quiconque ne l’eût pu imaginer », comme le disait si bien Aldous Huxley dans les premières pages de son célèbre roman.
A propos de l'auteur : Eric Bourguignon est directeur général délégué de Swiss Life Asset Managers (France).