« - Il n’y a qu’un ouvrage que j’ai fait en écriture automatique : La brebis galante.
- Mais il est écrit comme tous les autres recueils !
- Ah bon ? »
Benjamin Péret à un jeune poète1
Non que tu veuilles sciemment occulter les causes qui auraient produit ce retournement, ce changement d’état, qui ont déclenché le désir de rendre compte de cette nouvelle perspective, ni que tu trouverais indécent de t’ausculter, n’es-tu pas l’auteure d’un livre intitulé Coït2 ni d’itérer sur les causes de ce changement d’état, non. « La vie radieuse » ne relève pas d’une thérapie mais d’une « Terrapie. »
Tu aurais décidé de te laisser irradier par la vie sur Terre, telle qu’elle t’apparaît dorénavant partie d’uns et d’unes ensemble. Tu aurais décidé de noter, non pas ce qui s’est passé à partir de ce moment-là, mais juste après, ce dont tu n’aurais pas eu vraiment conscience avant, qui était là et pas là à la fois, des visions transformées en auditions d’espérance, non plus de ces visions qui distordent mais des visions tangibles, partageables, redressées par le réel : poème.
…/ l’eau de l’eau de l’eau / lacs continents monts et forêt résine son de papier ce que je déduis hors du texte une densité une somme se transforme infra simultanément des assujettissements des ordonnances des géométries des pages des plans autrement idoines / la lune le jour translucide …
Un évènement que tu devineras sans le savoir puisqu’il t’est arrivé le même ou bien qu’il va t’arriver, de sorte qu’il « nous » est également arrivé, non pas à ce « nous » excluant, ce « nous » si proche de « non », ce « nous » et « les autres », mais à ce pronom inclusif (je tu il et elle, où le je est tu tandis qu’il et elle sont tués mais pas le tu) et universel (nous vous ils et elles dont ils et elles sont nous par vous c’est-à-dire nous toi) auquel se rapporterait « La vie radieuse ».
Et comment décrire alors ce qui arrive sinon en inventant une syntaxe, en ne radiant aucun mot du lexique dont les rayons alpha, bêta, gamma te traversent jusqu’à Z, les mots constitués des symboles des atomes dont est fait la Terre et les étoiles, le cristal, le végétal et l’animal, bref la vie sans solution de continuité.
Tout d’atomes comme ceux dont est fait la mirabelle la bien nommée dont tu viens de cueillir un plein panier dans le jardin comme autant de soleils miniatures avec au bout des doigts l’idée d’une tarte gigantesque à partager et celle plus tard d’une bouillotte de noyaux : La-V-I-Ra-Dy-Eu-Se.
Et d’écrire dans le langage formel du poème, dans ce code craqueur de code et d’opérer la transformation de la désespérance de vivre à ton époque en joie de la déjouer, ce jeu d’à qui perd gagne, ce « je » de « dé », ce « dé-je » : poème.
… / sens physique exotique sur le terrain quatre coqs plus une poule jusqu’au talus la qualité de la terre meuble des plants de framboisier sauge ail romarin des pommes de terre / en quantité / sous les feuilles le puits une pompe une fosse septique sur le cadastre des repères une croix à l’ouest de l’ouest l’est / la qualité est-elle une direction ? / ...
Ou bien encore, de concevoir un poème en tant qu’appareil de mesure du rayonnement de la matière verbale dans le but d’indiquer la direction diamagnétique de l’espérance : la direction de l’errance.
Tout cela exprimé d’une phrase sans point ni virgule sauf parfois la pose de questions primordiales, les seules qui soient également des réponses, la vraie question supposant la forme d’un poème colonnaire sur lequel tu pourras revenir t’appuyer les jours où.
A la place des points et même parfois à la place des mots quand ils vont de soi tu as laissé du blanc. Blanc comme celui des yeux du monde dedans lequel tu le regardes et qu’il te restitue, ton regard, augmenté.
C’est alors que les mots cassent le blanc qui régnait sous les coupoles de tes paupières et te guident les yeux fermés : l’obscurité n’est que l’ombre d’une chose qui brille quelque part.
… / au centre / avec / le reste des étoiles éteintes exoplanètes agglomérats provisoires similaires nos liquides pupilles lasers nos canaux sont-ils des tubes ? je m’émerveille est-ce la vie ? / radieuse / l’électricité grains de silice nos germe le carbone ses liaisons des reflets est-ce la lumière ? ce que nous sommes ensemble / montagne / …
Si, dans le livre de Chantal Neveu au titre magnifiquement osé, tu n’emprunteras pas les gouffres par lesquels certains guides te font passer, qui peuvent être des guides de haute compagnie, de ces gouffres familiers auxquels tu te tiens à bonne distance de visibilité, lesquels gouffres sont également les nôtres mais un nôtre inclusif qui ne marquerait plus la possession mais la mise en commun – existe-t-il des langues sans signe d’appartenance où les pronoms ne soient plus mis pour les noms mais tous les noms sans distinction redits à la place, ce qui serait un début - tu ne trouveras pas dans « La vie radieuse » la recette du bonheur mais simplement indiquée sa possibilité. C’est un commencement : l’errance précède l’espérance…
Christian Désagulier
Chantal Neveu, La vie radieuse, éditions La Peuplade, 240 pages, 18€, 2016
1. Benjamin Péret, l’astre noir du surréalisme, Barthélémy Schwartz, LIBERTALIA, 2016
2. coït, La Peuplade, 2010