« L’envol ou le rêve de voler »
Cette fois c’est bien la dernière manifestation de la Maison Rouge à Paris après quatorze années d’activité donnant à voir centre trente et une expositions. C’est peu de dire que ce lieu a offert un regard rafraîchissant sur l’art en tissant des liens avec les cultures, les époques, les civilisations. « L’envol ou le rêve de voler » signe donc ce parcours rare. « L’envol se donne comme une déambulation spatiale, mentale… et aérienne. Il y est question du « rêve de voler » dans toutes les acceptions que peut revêtir l’expression ». Il ne s’agit pas ici de suivre l’aventure pathétique de ceux qui, au péril de leur vie, ont tenté d’imiter l’oiseau et de réaliser le rêve d’Icare. Cette histoire qui précède celle de l’aviation nous la connaissons au travers des archives cinématographiques qui témoignent de ces envols souvent ratés, parfois meurtriers.
Le concept de l’exposition lui même s’envole pour aborder les espaces de l’élévation spirituelle, l’ivresse des cimes, l’arrachement à la gravité et atteindre ce désir inaccessible de s’arracher à la pesanteur.
Vladimir Tatline (1885-1953), Letatlin
Les ailes constituent le premier symbole incontournable de ce voyage. De l’aile de Rodin à celles d’Ilya et Emilia Kabakov en passant Vladimir Tatline , l’envol s’exprime toujours avec ces attributs. Au-delà des inventions imaginées par les aventuriers du premier vol, la création de ces machines volantes pouvait prendre, chez l’artiste, une dimension imaginaire, poétique. L’œuvre de Panamarenko bénéficie logiquement d’une visibilité majeure dans cette exposition. L’artiste belge, passionné par l’aviation, a construit son premier avion en 1967. Chez Panamarenko le prétexte d’une fabrication mécanique ouvre la voie d’un imaginaire fantasmagorique qui lui est propre.
Une autre œuvre magistrale aurait pu trouver toute sa place dans cette exposition : les « Mécaniques pour Cyrano » du regretté Jacques Carelman. Célèbre pour ses objets introuvables, Carelman réalisa dans les années soixante douze maquettes en bois, cuivre, verre, exécutées d’après les machines imaginaires présentes dans les romans de Cyrano de Bergerac.
Mais l’envol ne se limite pas à cet imaginaire des machines. L’exposition crée des rapprochements improbables qui vont de l’homme canon au saut dans le vide d’Yves Klein.
Saut dans le vide
Yves Klein, Saut dans le vide 1960, tirage argentique noir et blanc 5, rue Gentil-Bernard, Fontenay-aux-Roses
Le 19 octobre 1960 rue Gentil-Bernard à Fontenay-aux-Roses dans le sud-ouest de Paris met en scène cet envol singulier. Plusieurs sauts sont réalisés par Yves Klein qui se réceptionne sur un matelas soulevé par un groupe d’assistants. Nous ne sommes pas encore au temps du numérique. Avec une photo de la rue vide, les deux images sont combinées dans un photomontage réalisé en chambre noire.
On sait qu’ Icare, malgré les avertissements de son père Dédale, grisé par la liberté que lui donnaient les ailes semblables à celles des oiseaux, confectionnées avec de la cire et des plumes, se laisse emporter par cette ivresse et, trop près du soleil, voit fondre la cire de ses ailes puis meurt précipité dans la mer.
Cette ivresse de l’envol passe à notre époque par les états seconds expérimentés par les consommateurs de LSD notamment. Elle s’exprime également au travers de l’extase, des états de transe, évoqués par Ben Russell sous les termes « d’ethnographie psychédélique ». Cette autre dimension du saut dans le vide renvoie d’ailleurs à une exposition passée de la Maison Rouge en 2013 « Sous influences » qui abordait la relation entre les artistes et les drogues.
Il reste encore quelques semaines pour saluer le parcours de la Maison rouge pour ces quatorze années de libre déambulation dans l’art et partager ce voyage imaginaire.
Photo Tatline : de l’auteur
« L’envol ou le rêve de voler »
Du 16 juin au 28 octobre 2018
La maison rouge
10 boulevard de la bastille
75012 Paris