Oui, les images sont une porte ouverte sur l’éternité. Mais la photographie ne dit rien de l’éternité, elle se complaît dans l’éphémère, atteste de l’irréversible et renvoie tout au néant. Si elle avait existé à l’époque de Jésus, le christianisme ne se serait pas développé ou n’aurait été, au mieux, qu’une atroce religion du désespoir.A son image JERÔME FERRARI Actes Sud, 218 p., 19 €, ebook, 13,99 €
Magazine Culture
Six ans après le Goncourt pour Le sermon sur la chute de Rome, Jérôme Ferrari est le lauréat du Prix littéraire du Monde avec A son image, une autre liturgie tout aussi prégnante rythmant un roman qui n'échappe pas à la Corse ni à ses démons tout en puisant dans les lointains les images de violence qu'Antonia saisit sans avoir toujours le courage de les développer...
Le temps d'un office funèbre se dévoile l'obscénité de la photographie quand elle montre l'inmontrable, quand elle se situe au-delà de ce que l'esprit humain peut concevoir en matière de cruauté. En contrepoint, des reportages anciens refont surface dont l'un avait déjà requis Jérôme Ferrari, avec Olivier Rohe (A fendre le cœur le plus dur, 2015): celui de Gaston Chérau pendant la guerre italo-turque de 1911-1912. On y lisait, vers la fin du texte: «certaines choses ne devraient pas exister. Mais puisqu’elles existent, il n’est peut-être pas plus obscène de prendre en compte leur réalité que de la nier. Ou pour le dire autrement: ces photos sont obscènes, c’est vrai, d’une obscénité telle que rien ne peut la racheter; et c’est pour cela qu’il faut les montrer.»
D'une certaine manière, A son image est le prolongement de la réflexion menée dans cet autre ouvrage. Sous forme de fiction, cette fois, où Gaston C. est la version imaginaire du véritable Gaston Chérau et devient un des témoins appelés à la barre du tribunal des horreurs - lui et quelques autres, pour éclairer par leur expérience le travail impossible entrepris par Antonia quand elle en a marre de photographier des mariages ou des conférences de presse du FLNC et part rencontrer la guerre en Yougoslavie déchirée.
Le prêtre qui enterre Antonia, morte accidentellement, est son parrain. Avant d'être appelé à cette vocation, il se mêlait à la jeunesse de son époque et participait volontiers à ses excès. Aujourd'hui, il n'en peut plus d'enterrer des personnes qu'il a connues enfants et souhaiterait quitter cette Corse où pourtant il est chez lui, précisément parce qu'il y est chez lui et que, trop proches, les pécheurs n'osent pas lui confier leurs fautes. Le poids de toutes les vies enlevées trop tôt est devenu trop lourd, la violence est devenue banale et fait s'affronter ceux qui luttaient autrefois ensemble.
Roman à plusieurs couches de réalités diverses, dense et somptueux comme un chant a capella dont les polyphonies corses connaissent la magie, A son image fascine et brûle - de l'intérieur comme celui qui regarde.
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