Double parution autour de Wallace Stevens, L’Homme à la guitare bleue, traduction d’Alexandre Prieux aux éditions de la revue Nunc/Editions de Corlevour et Minuties préliminaires, traduction de Gilles Mourier, aux éditions Le Sot l’y laisse. Les deux éditions sont bilingues. Parmi les autres traducteurs du poète, on peut signaler Bernard Noël, dès 1989, Claire Malroux, traductrice de deux livres importants chez Corti (2002 et 2006) et Thierry Gillyboeuf.
LE VENT TOURNE
Telle est la manière dont le vent tourne :
Comme les pensées d'un vieil être humain,
Qui pense encore avec égale ardeur
Et avec désespoir.
Le vent tourne de telle sorte :
Comme un être humain sans une illusion,
Qui sent encore des choses irrationnelles en elle.
Le vent tourne de telle sorte :
Comme des humains à l'approche fière,
Comme des humains à l'approche hargneuse.
Telle esr la manière dont le vent tourne :
Comme un être humain, lourd de tout son lourd,
Qui n'en a cure.
THE WIND SHIFTS
This is how the wind shifts:
Like the thoughts of an old human,
Who still thinks eagerly
And despairingly.
The wind shifts like this:
Like a human without illusions,
Who still feels irrational things within her.
The wind shifts like this:
Like humans approaching proudly,
Like humans approaching angrily.
This is how the wind shifts:
Like a human, heavy and heavy,
Who does not care.
LE GOBELET INDIGO DANS LA GLÈBE
Lequel est-il réel —
Ce flacon-ci de verre indigo dans la glèbe,
Ou le banc avec le pot de géraniums, le matelas
maculé et la salopette lavée séchant au soleil?
Lequel des deux renferme-t-il véritablement le monde ?
Ni l'un ni l'autre, ni les deux ensemble.
THE INDIGO GLASS IN THE GRASS
Which is real—
This bottle of indigo glass in the grass,
Or the bench with the pot of geraniums, the stained
mattress and the washed overalls drying in the sun ?
Which of these truly contains the world?
Neither one, nor the two together.
Wallace Stevens, Minuties préliminaires, traduction de Gilles Mourier, édition bilingue, Le Sot l’y laisse, 2018, 270 p, 23€, pp.86/87 et 166/167.
*
XXXI
Le sommeil du faisan est si long et si lourd...
L'employeur et l'employé luttent,
Combattent, arrangent leur drôle d'affaire.
Le soleil bouillonnant bouillonnera,
Le printemps pétillera, le coq criera.
L'employeur et l'employé entendront
Et continueront leur affaire. Le cri
Fouillera les fourrés. Nulle place, ici,
Pour l'alouette posée dans l'esprit,
Dans le musée du ciel. Le coq
Agrippera le sommeil. Le matin n'est
Pas le soleil, c'est cet état des nerfs,
Comme si un musicien usé
S'accrochait aux nuances de la guitare.
Joue cette rhapsodie ou rien,
Celle des choses comme elles sont.
XXXI
How long and late the pheasant sleeps...
The employer and employee contend,
Combat, compose their droll affair.
The bubbling sun will bubble up,
Spring sparkle and the cock-bird shriek.
The employer and employee will hear
And continue their affair. The shriek
Will rack the thickets. There is no place,
Here, for the lark fixed in the mind,
In the museum of the sky; the cock
Will claw sleep. Morning is not sun,
It is this posture of the nerves,
A
s i f a blunted player clutched
The nuances of the blue guitar.
It must be this rhapsody or none,
The rhapsody of things as they are.
Wallace Stevens, L’Homme à la guitare bleue, traduction de l’anglais (E.U.) par Alexandre Prieux, édition bilingue, Revue Nunc/Editions de Corlevour, 2018, 112 p., 17€, pp. 68/69.
Bio-bibliographie de Wallace Stevens (mise à jour) et un autre extrait de l’œuvre, et notamment une autre traduction de « Le vent tourne » due à Claire Malroux.