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Emmanuel Bove, Mes amis J’ai lu Emmanuel Bove (1898-1945) dans les années 80, en profitant d’une vague de rééditions (chez Flammarion et Calmann-Lévy, je crois). La vague est retombée, malgré quelques répliques de loin en loin, et j’ai un peu oublié Emmanuel Bove tout en me promettant d’y revenir un jour ou l’autre. Le jour est venu : deux éditeurs republient en même temps Mes amis – Le Livre de poche et L’Arbre vengeur. On croirait un gag. J’ai pensé qu’il n’était pas interdit d’en renforcer l’effet comique et d’ajouter de manière subreptice une troisième réédition – numérique, celle-ci – aux précédentes. Je me suis fait plaisir puisque je me suis ainsi plongé dans Mes amis. Si d’autres partagent ce plaisir, tant mieux.
Victor Bâton, ou plutôt Bâton Victor, comme il dit quand il se présente avec un sens formel qui l’honore en même temps qu’il donne l’impression d’être au régiment, cherche à passer inaperçu même quand personne n’est là pour l’observer : il se lave courbé, marche de même, passe les portes de profil (l’angle sous lequel il préfère se voir dans un miroir), prend garde à ne pas déranger, à ne pas faire un geste inconvenant, fournit des explications pour des comportements qui n’ont pas besoin de commentaires, craint de mal faire, ou que son attitude, bien que calculée au plus près de ce qu’il pense être correct, soit mal interprété… Timide et mou, indécis, il est un homme gris comme ceux auxquels aimera à s’attacher Simenon, un peu plus tard. (Il n’a pas fallu attendre certain roman érotique pour savoir qu’il y avait plus d’une nuance dans le gris.) Sinon que, dans sa volonté trop marquée de ne pas se faire remarquer, Victor Bâton paraît empoté, ce qui se remarque, et il s’en trouve gêné. « J’avais eu l’intention de ne donner que deux sous de pourboire. Au dernier moment, craignant que ce ne fût pas assez, je laissai quatre sous. » Le grand malheur de sa vie est moins d’avoir été blessé à la guerre que de n’avoir pas d’amis. L’ironie du titre se double des démarches entreprises avec maladresse pour se lier avec des personnes de rencontre, dont Mes amis fait collection. Victor Bâton aime qu’elles dépendent de ses (relatives) largesses – il bénéficie d’une petite pension d’invalidité – car il craint moins de les voir se détacher de lui. Ce qui finit cependant toujours par advenir, parfois à cause de femmes qui l’attirent et qui transforment le besoin d’amitié en désir d’amour, pour la maîtresse de l’un ou la fille de l’autre. Élans malheureux qui rendent nécessaire un pas de côté. « Je ne demandais qu’à aimer, qu’à être comme tout le monde. Ce n’était pourtant pas grand’chose. » Le pire est aussi le meilleur : Victor Bâton, c’est moi, c’est peut-être vous, dans les moments où on se voudrait un autre sans jamais le devenir. On n’est pas fier. Mais voilà : on s’est reconnu, exactement comme Victor Bâton quand il se voit photographié dans un journal, au milieu d’un attroupement. Une bouffée de plaisir, même honteux, quel bonheur ! Pierre Maury.
Mise en vente le 5 septembre 2018 Édition exclusivement numérique, 2,99 € (9.000 ariary à Madagascar) ISBN : 978-2-37363-075-6 Bibliothèque malgache Lire les premières pages