L'homme fragile, qui a une conscience aiguë de l'à peu près de l'existence, est d'autant plus disposé à chercher des
questions que l'élucidation du mystère de la vie le tient dans un qui vive inquiet. C'est pourquoi, même confusément, il est attiré par l'illisible. L'illisible concerne tous les signes qui
structurent le monde comme un ensemble sans se donner à comprendre dans l'immédiateté. L'illisible conduit à la question car il la contient et l'homme fragile ne s'en détourne pas. La question du
pourquoi, (donc de la causalité), importe ici assez peu. La question du comment, (donc de l'agencement), est en revanche fondamentale. Prenons l'exemple d'un quidam tombé malade. La question du
pourquoi est très lisible et induit une réponse très lisible aussi. Il est malade parce qu'il fait un froid de canard et que ses défenses immunitaires sont raplaplas. La question du comment
est-il tombé malade est infiniment plus complexe car elle ouvre sur un plus large champ de possibles. Comment était donc notre quidam juste avant de tomber malade ? Comment son voisin, dont la
santé est tout autant précaire, n'est pas tombé malade, lui ? Comment était, au début de sa maladie, la disposition de son environnement matériel et affectif ? On tombe plus facilement malade
tout seul dans un taudis que bien accompagné dans une maison confortable. Mais l'inverse se produit aussi souvent. Nous nous aventurons là sur le chemin de la narration avec ses entrelacs
arborescents. La question du comment est configurée comme un arbre dont les acines, les sous-racines, les branches, les sous-branches, les embranchements, les sous-embranchements, les bretelles,
les sous-bretelles permettent d'énoncer l'illisible, sachant qu'il ne se réduira jamais tout à fait. C'est ainsi que l'aventure humaine peut continuer de s'ouvrir des chemins, dans l'ambiguïté du
comment narratif qui pourrait bien recéler, itou, un pourquoi explicatif... Mais c'est une autre histoire, non ?