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J'entends, un peu partout, des critiques s'élever à propos de la libération d'Ingrid Bétancourt, du genre : "Les
médias en font un spectacle, construisent une icône à usage du bon peuple." Ou, pire encore : "Regardez, elle n'a pas l'air aussi malade qu'on l'a dit ; tout ça c'est bidonnage et
compagnie..."
Je m'inscris avec vigueur en faux contre ces commentaires de quidams bien nourris et au chaud dans leurs tatanes. Que la libération d'Ingrid Bétancourt soit surmédiatisée est évident. Elle n'est
pas n'importe qui comme vous et moi. Issue de la haute bourgeoisie, femme politique de premier plan, toute la jet set s'est mobilisée pour la sauver. Le prochain numéro de Paris-Match, c'est à
parier, couvrira l'événement sur plusieurs pages dégoulinantes et se vendra comme pain béni. L'actuel président de la République multipliera encore et encore les déclarations à son avantage et
fera l'éloge du pourtant peu recommandable Alvaro Uribe. Oui, mille fois oui, tout cela est vrai !
Mais quand même ! Sans être dupe du grand cirque qui nous gouverne, va-t-on oublier au nom d'un ersatz idéologique mal digéré ce que représentent six ans et demi de détention au coeur d'une
jungle forcément hostile, parmi toutes sortes de cancrelats, les fers aux pieds et les bourreaux ordinaires à l'entour ??? Ne peut-on pas se réjouir, tout simplement, de ce qu'une mère rescapée
de l'enfer retrouve sa famille ? Pourquoi une émotion bien légitime serait-elle dérisoire, suspecte au point de soupçonner Ingrid Bétancourt elle-même ? Les remarques sur son état de santé, "elle
n'a pas l'air si malade...", me paraissent particulièrement abjectes. Moi, je ne suis pas un esprit fort, dopé par je ne sais quelle doxa pseudo révolutionnaire. Je vois une femme revenue à la
vie parmi les siens, je vois une femme prête à repartir au combat pour améliorer le sort de la Colombie corrompue jusqu'à l'os, je vois une femme forte et fragile, qui s'écroulera un temps quand
seront passées les obligations médiatiques qu'on a décidées pour elle. Je vois de l'humain et rien que de l'humain. Et même si mon émotion est un zest surdosée, je ne changerai pas une virgule de
ce texte. Et même si Ingrid Bétancourt veut voir le pape, qu'elle y aille, c'est son droit de croyante, et je ne la critiquerai pas. Messieurs les ratiocineurs de salon, allez dormir, et tâchez
de ne pas ronfler ! Je suis assez incommodé comme ça !