Sami Tchak : Ainsi parlait mon père

Par Gangoueus @lareus


Il est une chose certaine : Sami Tchak ne construit pas son oeuvre littéraire comme le commun des mortels. Son approche est toujours déroutante et caractérisée par un mot : liberté. Cette liberté rend la prise de parole ou plutôt la prise d’écriture de cet auteur unique. Ainsi parlait mon père (Ed. JC Lattes).
Pour vous parler de ce livre, il faudrait que j’évoque l’évolution de l’oeuvre littéraire de l’écrivain togolais. Femme infidèle est sa première production littéraire (1988). Ses travaux de recherche en sociologie l’ont conduits au Burkina Faso puis à Cuba. La porte d’entrée vers le monde latino-américain. Le temps de la bascule où Sami Tchak de son manteau de sociologue pour entrer en littérature. Dès ce moment, l’écrivain ancre ses textes dans un monde latino-américain ou qui y ressemble. Hermina. La fête des masques. Le paradis des chiots. Filles de Mexico. Un écrivain voyageur. On attend la traduction des textes de Sami Tchak en espagnol. Il serait en effet intéressant de voir comment son regard serait perçu en Amérique latine. Puis progressivement, l’homme de lettres togolais s’est recentré vers le continent Africain ou l’univers des littératures francophones pour chaque fois posé un regard désenchanté, ironique, sarcastique sur la valeur de la tradition orale et du poids de la parole dans un espace moderne ou encore sur la comédie des lettres, des écrivains, des écrivains tout courts, des écrivains étiquetés.
Quelqu’un m’a dit un jour : Sami Tchak doit revenir à la source, en pays Tem. Il l'a fait. De la plus belle des manières, en restant fidèle à son attitude, à son regard libre sur le monde. Le portrait qu’il fait de son père ne dérogera pas à cette liberté qu’il s'est toujours donné. Liberté de choisir sa voie. Liberté de ne pas rentrer dans les rangs. Liberté de travailler sa voix. Car Sami Tchak est avant tout un marginal, étant le fruit de deux marginaux. Son père et sa mère. Handicapé par les vicissitudes de la vie et d’un milieu hostile où une piqure de scorpion non traitée peut entrainer une infirmité définitive. Sami Tchak raconte sans pathos une rencontre triste mais forcément nécessaire car elle le définit. Il en est le fruit. Il évoque aussi le fait qu’il n’a, dans le fond, jamais aimé sa mère. Enfant, il était insensible à sa douleur, à sa condition. Citation de Sami Tchak. Je vous l’ai dit. Il n’est pas homme à faire les choses comme le commun des mortels. Il choisit de célébrer la parole du père. D’ailleurs, il l’oppose aux lecteurs de très belles analyses :
61. "Même ces grandes étoiles dont tu me parles sont insignifiantes face à l'Infini, et l'Infini ne représente rien face à Dieu, car Dieu est Tout, c'est pourquoi il n'est nul besoin après L'avoir évoqué d'ajouter qu'Il est grand. Il est" : ainsi parla mon père au cours de l'une de nos discussions sur la foi, la religion et Dieu.
 P.51, Ainsi parlait mon père, Sami Tchak
153. "Ta détermination et tes ambitions au milieu des embûches et de l'incertitude, tes doutes au milieu des liens humains aussi peu authentiques que les couleurs du caméléon, ta solitude lorsque tu te crois sincère dans un monde où tout est jeu, tout cela ne fait pas de toi un homme meilleur, mais, au mieux, quelqu'un qui garde les yeux ouverts" : ainsi parla mon père à qui je confiais mes désillusions.
 P.87, Ainsi parlait mon père, Sami TchakLa référence au philosophe Niesztche est assez parlante pour comprendre la démarche de Sami Tchak. Dans la forge de son père, lieu de savoir et de pouvoir dans cette Afrique traditionnelle, ou lus simplement en pays tem, le fils dialogue avec le père. Le fils explique le monde des penseurs dans lequel il évolue et il y oppose ou il rapporte la pensée de son père, sa philosophie, sa sagesse. Ces échanges entre le père et le fils sont magnifiques. D’ailleurs, chaque sentence de son père pourrait être une sourate ou un verset d’un livre sacré tel qu’il présente son ouvrage. Tout cela est tellement parfait... Je me suis dit en lisant Sami Tchak que je n’ai peut être pas assez entendu la voix de mon père. Sami Tchak parle des romans qu’il aime à son père, de passages clés, des axes directeurs de la parole de Christ ou de Confucius. Il convoque Kant et bien d’autres philosophes. Et les réponses du père, son regard sur le monde est riche, dense, engageant. Il se rit de son fils, condamne son scepticisme, encourage ses ambitions. Il y a énormément d’amour, de respect dans ce rapport.
54. "Si ce Blanc dont tu parles a raison, alors, l'Homme est une erreur dont nous devrions avoir plutôt honte" : ainsi parla mon père après que je lui avais traduit, dans notre langue maternelle, le tem, une pensée de Nietzsche tirée d'Ainsi parlait Zarathoustra : "L'homme a besoin  de ce qu'il y a pire en lui s'il veut parvenir à ce qu'il y a de meilleur."
 P.48, Ainsi parlait mon père, Sami Tchak
Connaissant Sami Tchak, écrivain, je n’ai pu m’empêcher de me poser la question : est-ce réel ? Ces discussions autour de la forge ont-elles réellement eu lieu ? N’est-ce pas une fiction remarquablement mise en scène ? Je ne pense pas que l’écrivain me reproche de poser une telle question. Car n’est-il pas dans le pouvoir d’un écrivain de réécrire l’histoire, une scène manquée, manger son piment dans la bouche d’autrui ?

DR Gangoueus


La sagesse de Sami Tchak fait ensuite place à celle de son père. Ainsi parle Sami. Ainsi parlait son père. Amen. Il revisite plusieurs thèmes comme la mort, la littérature, la condition noire, ses lectures… Dans la dernière partie du texte, il revient à ses parents. A son père. Et il nous livre une part de sa nudité. Les humiliations dont il a fait l’objet dans le pays Tem. Ici, dans cette dernière partie, Sami Tchak transgresse un tabou. Livrer la nudité de son père à ses lecteurs. Etait-ce nécessaire ? Etait-ce une clé à saisir pour comprendre les nuances de son regard sur le monde ? Je suis perplexe. L’oeuvre est belle. 
Sami Tchak, Ainsi parlait mon pèreEd. JC Lattes, 268 pages, première parution en 2018