Résumé : Deux enfants sont envoyés passer une semaine en Pennsylvanie, dans la ferme de leurs grands-parents. Mais lorsque l'un d'eux découvre qu'ils sont impliqués dans quelque chose de profondément dérangeant, leurs chances de retour s'amenuisent de jour en jour.
Après une traversée du désert de près d’une décennie, qui va de La Jeune Fille de l’eau (2006) à After Earth(2013) en passant par Phénomènes(2008), M. Night Shyamalan retrouve les faveurs du public et de la critique en 2015 avec The Visit. Les raisons du succès ? Le recours au très en vogue producteur Jason Blum, à l’origine (entre autres) de la lucrative saga Paranormal Activity ou, plus récemment, de Get Out. Et en termes formels, un changement brutal dans la mise en scène, grâce à l’apparition du found-footage.
Le found-footage ou le monde inversé
Depuis The Blair Witch Project (que Blum avait à l’époque refusé de produire, pensant que le film courait à l’échec), le found-footage innerve bon nombre de productions horrifiques à petit budget. Les raisons sont simples. Économiquement, le style faussement amateur de ces « films trouvés » autorise une mise en scène brouillonne, un jeu d’acteurs moins recherché et un matériel de moins bonne qualité (en apparence) : donc moins de frais matériels. Formellement, le caractère précisément brouillon de ces films renforce l’immersion du spectateur, qui retrouve l’ambiance des films de vacances. Comme si l’horreur s’immisçait dans la réalité la plus triviale, tel le banal pavillon du premier Paranormal Activity.L’esth-éthique du found-footage tranche radicalement avec celle que déployait alors M. Night Shyamalan. Adepte de plans très composés et de montages lents, il verse soudain dans une pratique qui privilégie les angles déformés, les courbes bizarres et les montages abracadabrantesques (puisqu’il résulte, dans la diégèse, des deux ados cinéastes en herbe). Les nez écrasés sur la caméra, les grimaces et les distorsions d’angles participent de la construction du malaise autant que les apparitions et les gémissements nocturnes de la grand-mère ou les errements maladifs du papy.Toutefois, The Visit ne s’abîme pas dans les âneries exorcistes (au premier rang desquels Paranormal Activity) que Jason Blum a produits en grand nombre. Il n’y a pas de Mal dans la maison des grands-parents. Aucun manichéisme. Si Mal il y a, il ne provient que d’une vision déformée des choses. Comme si de la réalité, on ne voyait que l’endroit.
Le monde au miroir des miroirs
C’est justement tout l’enjeu de l’esth-éthique found-footage. Explorer l’envers de l’image, imaginer (fantasme ultime du cinéaste) qu’une caméra puisse saisir à elle seule une réalité qui échapperait à l’œil humain (tels les drôles d’agissements de la mémé somnambule). Chez Shyamalan, le found-footage retrouve des préoccupations formelles anciennes, à commencer par le travail sur le hors-champ. Cependant, le hors-champ n’est pas aussi cadré que dans ses œuvres précédentes : il surgit plus qu’on ne le compose, comme si une force insaisissable l’habitait, qu’il s’agit plus d’apercevoir que de capturer. D’où l’importance de la figure de l’écran. Miroir ou caméra, l’écran domine The Visit. En plus de produire du suspens (puisqu’on voit ce que les personnages ne voient pas), l’écran propose une véritable phénoménologie : dans ces petits rectangles photogéniques transparaît une autre réalité.En résulte une œuvre très étrange dans la filmographie de Shyamalan. Se souviendra-t-on du très hybride (et très sombre) The Visit dans plusieurs années, au même titre que les classiques Sixième sens et Incassable ? Ou l’œuvre n’aura-t-elle servi que d’exercice stylistique après le passage à vide des blockbusters Le Dernier Maître de l’Air et After Earth ? Quoi qu’il en soit, elle aura impulsé un renouveau chez le cinéaste, ainsi que de nouvelles problématiques qu’il explorera plus avant dans Split.
The Visit, M. Night Shyamalan, 2015, 1h34
Maxime
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