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pensées encombrées

Par Jmlire
pensées encombrées Encombrement général

" La voiture, ça été merveilleux à un moment donné. A l'époque de Paul Morand. Ou de Roger Nimier, dont on ne peut pas dire qu'il ait été traversé par l'amour du prochain. Mais au mons ces types avaient-ils le bon goût de rouler dans de très belles bagnoles, et souvent de mourir à bord. La rencontre du territoire avec la voiture a été formidable tant que l'arbre mettait un point final à ce goût que les mecs avaient pour la mécanique. Et d'un coup, il y a eu la massification, et la sécurité. Depuis qu'elle a inondé le territoire, la voiture est devenue moche, c'est une boîte à savon, une bulle, soufflée. Elle crée un encombrement général qui dit quelque chose de la société. Nos rues sont encombrées, nos heures sont encombrées, nos pensées sont encombrées."

Ne pas se propager

" Bien sûr, je ne suis qu'un être de contraires. Je prône l'ascétisme des ermites dans les salons parisiens, j'exalte la vie dans les bois mais j'habite au cœur de Paris, je parle des grandes fôrets encore vides d'hommes tout en indiquant leur destination... Si j'étais logique avec moi-même, je ferais des livres sur la stabilité, la fin de la circulation. Car cette question de la circulation, due au prix très bas du pétrole, est le grand problème. Nous sommes au tout début d'un immense basculement, mais il semblerait que nous préférions faire un dernier voyage en Thaïlande...

Cette envie d'"aller voir" me semble un des traits de l'esprit odysséen. Aller voir et chercher des ennuis, ce qui est le principe de l'aventure. Il veut aller voir le Cyclope alors que l'équipage le retient, de même pour Circé. Cette curiosité est européenne. Au XVème siècle, les Chinois, en terme de tecnique maritime, étaient bien supérieurs aux Européens. Et pourtant l'amiral Zheng He a ordonné que la flotte chinoise, qui s'était aventurée jusqu'au cap de Bonne-Espérance, fasse demi-tour...

Oui, il est obscène d'exprimer quelque chose tout en ne se conformant pas à ses idées. Je paie tout de même mon écot à la vertu écologique en ne me reproduisant pas. Au moins aurai-je fait ça de ma vie, je ne me serai pas propagé.

Migrants

L'accueil homérique répondait à des règles précises. Il fallait accueillir l'étranger comme s'il était l'envoyé d'un dieu. Il était convié au festin. Mais les dieux sont morts... Puisqu'on fait une analogie entre l'étranger tel qu'il était accueilli à l'époque d'Homère et la manière dont nous accueillons les migrants aujourd'hui, on est bien obligé de parler de proportions. Accueillir un homme qui arrive, désemparé, un exclu, et lui tendre la main, est une question morale. Quand les déséquilibres démographiques et un détresse économique entraînent des déplacements de population très importants, on n'est plus dans la morale mais dans la politique, l'économie, l'humanitaire. La question de l'accueil de l'étranger chez Homère n'est pas une grille de lecture possible. Homère dit se comporter pour faire une place au festin. Nous, nous devons savoir comment nous comporter pour faire une place aux urgences.

Sylvain Tesson : extraits d'entretien pour Télérama 3577/78, Août 2018

http://Photo credit: styeb on VisualHunt.com / CC BY-SA


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