La Poule au Pot – Jean-François Piège

Par Gourmets&co

Et voila une table magnifique !

Il faut remercier certains chefs, et être même reconnaissants, d’avoir le désir de sauver des chefs d’œuvre en péril ou des grands noms du patrimoine culinaire parisien ou français lorsqu’ils sont au bord du gouffre. Il y a, de leur part, de l’amour et du respect pour un passé qui ne doit pas disparaitre. C’est tout à leur honneur et on a de nombreux exemples de ces sauvetages de grandes tables à la dérive après des décennies de gloire, le plus souvent méritée. Ainsi Alain Ducasse avec Allard, Benoit, et les Lyonnais, David Rose avec Chez la Vieille, Christian Constant avec le Bibent à Toulouse, Matthieu Viannay avec La Mère Brazier à Lyon, Cyril Lignac avec Le Chardenoux, et maintenant La Poule au Pot avec Jean-François Piège. Grâce à eux, un style perdure avec leur « pâte » personnelle mais toujours respectueuse, une ambiance renait, celle des bons mangeurs qui savent se tenir à table, et une cuisine française perdure.

La Poule au Pot ouvre en 1935, au cœur des Halles de Paris qui s’emparaient de tout le centre de la capitale dès la tombée de la nuit et jusqu’à l’aube. On a du mal aujourd’hui à s’imaginer la vie nocturne qui a perduré jusqu’à la fin des années 1960. Un monde incroyable s’y mélangeait : les grossistes en fruits, légumes, viandes, poissons, avec une tourbillon de camions et de camionnettes, des dizaines sinon centaines de diables, la prostitution florissante dans toutes ces rues fermées à la circulation, les restaurants et brasseries ouvertes pratiquement toute la nuit… Paris savait vivre en ces temps-là.

Il y avait Au Pied de Cochon, le Chien qui Fume, La Cloche des Halles, Pharamond….Très vite, La Poule au Pot est devenue un des rendez-vous nocturne très prisé puisqu’ouvert jusqu’à 5h du matin. Typique de l’époque avec sa salle rutilante et chaleureuse, son comptoir en zinc, ses miroirs aux murs, ses tables nappées de blanc et serrées au maximum, et les serveurs à l’unisson. Dans la salle, du beau monde et du moins beau, des fêtards et des gourmets, et dans les assiettes la grande tradition française. Avec l’arrivée aux commandes de Paul Racat, un homme au parcours étonnant et aux réseaux impeccables, on y verra Sinatra, Aznavour, et la légende veut que les Beatles y aient diné lors de leur (long) séjour parisien en 1963. Puis la famille Gainsbourg, Daniel Auteuil et des grands et petits artistes… Et Piège qui venait y dîner après le service du Crillon, certains soirs. On se régalait (au début en tout cas) de tripes à la mode de Caen, de la Gratinée au vin blanc (maintenue par Piège dans sa propre version), le Foie gras et gelée au Porto, et la Poule au Pot bien sûr.

Immuable, le restaurant a mal vécu l’arrivée d’une nouvelle cuisine, d’une nouvelle génération de chefs et de clients, des changements d’habitude alimentaires, et surtout de cette manie générationnelle qui veut se poser en s’opposant et qui a ringardisé ce type de cuisine qui, de son côté, se laissait aller à la facilité et à la médiocrité. Cette concordance a signé la fin de La Poule au Pot. Puis Piège est arrivé…

Décor rajeunit mais inchangé, carte fidèle à l’esprit mais avec la Piège touch qui rend cette cuisine resplendissante et d’une qualité remarquable.

Quelques petites choses « pour patienter » dont une assiette de saucisson de chez Patrick Duler et un cèleri rémoulade d’anthologie. J’avais vu le chef faire sa recette de l’Omelette à l’oseille sur une vidéo. Depuis, je n’en dormais plus ! Rêve réalisé, elle arrive sur table dans un beau plat ; bien roulée, copieuse, crème à l’oseille généreuse, râpé de parmesan discret à l’intérieur et pain grillé en miettes sur le dessus. Silence, chef d’œuvre ! Une perfection à tous les niveaux : cuisson, qualité des produits, équilibre des saveurs. Comme quoi, une simple omelette bien réussie et le monde change !

Dans un genre totalement différent : une salade de tomates du jardin, d’un goût parfait, vinaigrée peut-être un poil trop, mais d’une fraicheur étonnante. Des olives et du thon confit en prime.

Le Merlan Colbert est tout en finesse, même si la cuisson a un peu trainée et l’a rendu un peu sec, présenté avec une sauce tartare bien relevée et goûteuse qui remplace le traditionnel beurre maitre d’hôtel et le persil grillé, ce qui le rapproche plus d’un fish’n’chips que d’un Colbert. Servi avec une « montagne » de frites tout à fait plaisantes à grignoter.

Le Hachis Parmentier est de joue et de queue de bœuf. L’ensemble avec une purée fort beurrée est d’une qualité irréprochable, nourrissant, copieux et… délicieux. Addictif.

Beau et délicieux Plateau de tartes de mon enfance… et de la notre aussi : chocolat, pommes, framboises, accompagnées d’une glace rhubarbe quasiment unique.
Carte des vins remarquable de variétés, vins au verre idem, pain de chez Lalos recuit sur place, grandiose, accueil impeccable, service itou, et voila une table magnifique, chaleureuse, gourmande et riche. Tout ce qu’on aime. Merci Jean-François Piège !

9, rue Vauvilliers
75001 Paris
Tél : 01 42 36 32 96
www.jeanfrancoispiege.com
M° : Les Halles – Louvre
Ouvert tous les jours

Menu : 48 € (3 plats)
Carte : 70 €, environ