Le spectateur sera très vite pris par le charme puissant d'un texte en alexandrins, parfaitement articulés, parfois scandés dans le murmure, et presque toujours audibles en écholalie par le (ou la) partenaire. Cette forme de gémellité hyper sensuelle est renforcée par des similitudes de costumes et par la gestuelle.
Dans une note d'intention, le metteur en scène rappelle que l'adulte qui est en nous sait qu'au théâtre, ce qu'il regarde et écoute n’est pas "vrai" ; que c’est, précisément, "du théâtre". Mais qu'il décide d’accepter, momentanément, ce qui est présenté pour vrai.
Ici, nous annonce-t-il, les personnages sont en même temps que les personnages qu’ils sont, les acteurs de leurs personnages.
Hercule Savinien de Cyrano de Bergerac (1619-1655) n'aura écrit qu'une tragédie mais elle est exemplaire. Il mérite d'être connu pour cette oeuvre alors qu'il l'est presqu'uniquement en tant que personnage héroïque d'Edmond Rostand. On pourrait croire que son existence est le reflet de son art.
De superbes jeux de lumières découpent le plateau en espaces avec magie.
Tout est pensé au service d'un texte qui est un noeud de vipères, maitresses dans l'art du mensonge, au service de leurs objectifs gouvernés par la passion, alimentée au feu de l'amour, de l'orgueil ou de l'appétit du pouvoir. Les motivations s'entrechoquent jusqu'à la folie sans qu'on puisse mesurer quel est le plaisir le plus intense entre celui de la couronne et celui de la vengeance.
Mourir n'est rien, c'est achever de naître. (...) Périsse l'univers pourvu que je me venge !
Le spectateur a le sentiment d'entrer dans le cerveau de chaque protagoniste au son d'une musique qui évoque le thriller, ou d'être invité au banquet sur un air jazzy ponctué de chants d'oiseaux.
Un mot sur l'affiche, où les mots composent une cote de mailles au corps d'Agrippine, rappelant que nous sommes bien au théâtre. A cela on peut croire. Reste à espérer qu'une arène parisienne accueille prochainement cette mise à mort.