Le spectateur sera très vite pris par le charme puissant d'un texte en alexandrins, parfaitement articulés, parfois scandés dans le murmure, et presque toujours audibles en écholalie par le (ou la) partenaire. Cette forme de gémellité hyper sensuelle est renforcée par des similitudes de costumes et par la gestuelle.
Dans une note d'intention, le metteur en scène rappelle que l'adulte qui est en nous sait qu'au théâtre, ce qu'il regarde et écoute n’est pas "vrai" ; que c’est, précisément, "du théâtre". Mais qu'il décide d’accepter, momentanément, ce qui est présenté pour vrai.
Ici, nous annonce-t-il, les personnages sont en même temps que les personnages qu’ils sont, les acteurs de leurs personnages.
Hercule Savinien de Cyrano de Bergerac (1619-1655) n'aura écrit qu'une tragédie mais elle est exemplaire. Il mérite d'être connu pour cette oeuvre alors qu'il l'est presqu'uniquement en tant que personnage héroïque d'Edmond Rostand. On pourrait croire que son existence est le reflet de son art.
Il n'est pas utile de le savoir mais c'est un fait, Daniel Mesguich a su placer sa mise en scène dans le thème du festival d'Avignon, qui interroge cette année la question du genre. Avoir confié le rôle de Tibère, empereur de Rome à une femme (Sterenn Guirriec) est une excellente idée ... parce que le personnage y gagne en finesse de caractère et pourra nous persuader plus tard que tout cela n'est qu'un songe. Inversement, celui de Cornélie, est tenu par un homme (Yan Richard) qui donne plus de puissance à la place de la confidente d'Agrippine.
La scénographie est d'une sobriété absolue puisque le seul élément de "décor" est un trône et laisse toute la place à la richesse des costumes, des coiffures et des maquillages, qui sont totalement au service des personnages qu'on croirait aspergés de sang. L'ajout de plumes et de morceaux de peaux de bêtes comme autant de trophées participent à installer une ambiance de terrain de chasse.
De superbes jeux de lumières découpent le plateau en espaces avec magie.
Tout est pensé au service d'un texte qui est un noeud de vipères, maitresses dans l'art du mensonge, au service de leurs objectifs gouvernés par la passion, alimentée au feu de l'amour, de l'orgueil ou de l'appétit du pouvoir. Les motivations s'entrechoquent jusqu'à la folie sans qu'on puisse mesurer quel est le plaisir le plus intense entre celui de la couronne et celui de la vengeance.
Mourir n'est rien, c'est achever de naître. (...) Périsse l'univers pourvu que je me venge !
Le spectateur a le sentiment d'entrer dans le cerveau de chaque protagoniste au son d'une musique qui évoque le thriller, ou d'être invité au banquet sur un air jazzy ponctué de chants d'oiseaux.
Un mot sur l'affiche, où les mots composent une cote de mailles au corps d'Agrippine, rappelant que nous sommes bien au théâtre. A cela on peut croire. Reste à espérer qu'une arène parisienne accueille prochainement cette mise à mort.
La mort d’Agrippine de Hercule Savinien de Cyrano de BergeracAdaptation et mise en scène par Daniel MesguichChorégraphie Caroline MarcadetAvec Sarah Mesguich, Rebecca Stella, Sterenn Guirriec, Jordane Hesse, Yan Richard, Joëlle LuthiProduction Miroir et MétaphoreCoréalisation Théâtre du Chêne NoirAu Théâtre du Chêne Noir • 8 bis, rue Sainte Catherine • 84000 Avignon • Tél : 04 90 86 74 87Du 6 au 29 juillet à 12h05, sauf les lundis 9, 16 et 23 juillet