Elle reste seule et se repose sur elle-même
comme se reposent entre eux les frères de lait
comme les ennemis s’épaulent l’un l’autre dans leur haine
Oui. Elle reste seule, et dans sa solitude magique pousse
de l’herbe au seuil de sa porte comme sur sa tombe future
il y a de la menthe et du blé jusqu’à sa porte
des franges rouges de peuplier bruissent aux fenêtres
Il lui arrive de parler
avec la sève des fleurs
comme on parle avec une reine
Elle est la soeur de la rosée
de l’absinthe du coquelicot du sureau
sa main cueille tendrement la dame chenille
en lui parlant comme Alice avec étonnement
Oh. Elle aime cela. Affronte la vie la mort
marche seule comme un rat
et pieds nus
sur la plaque brûlante de la vie
Elle marche sur la mort comme un écorché qui entre dans la mer
Sur la digue les chiens hurlent vers la lune
Oui. Seule comme un rat elle se piétine elle-même
Elle a mal. Est heureuse. Elle défie toute pitié et n’a
besoin de personne
Le destin
Elle est arrivée dans le pays parfait
Traquée comme une biche à la chasse
par la meute qui aboie
elle est enfin arrivée dans ce pays parfait
où pousse l’arnica le millet la ciguë
Elle sait que la partie est perdue
qu’elle a été rouée de coups
qu’on lui a craché dessus
et que demain elle sera lapidée
Elle sait qu’elle se trouve en guerre avec l’humain
Mais elle reste défiante vêtue de sa défaite comme d’une armure
toute en sachant que l’armure est sa propre peau
et que sa peau a été sept fois écorchée
et tirée au sort
comme a été tirée au sort cette chemise-là
Maintenant et ici elle défie la vie et la mort
en se vautrant dans sa grande solitude
comme dans la soie
Les chatons rouges de peuplier pendouillent à sa fenêtre
Elle est enfin seule comme un rat
heureuse
Marta PETREU (née en 1955 à Jucu, Roumanie), Douze écrivains roumains, traduit du roumain par Ed Pastenague, L’Inventaire, 2005
Ce poème, trouvé chez Shabrière, me fait penser un peu à ma lecture du Coeur converti de Stefan Hertmans, à ce personnage de femme tellement dévoré de solitude.