Conséquence inattendue de m'être mis à écrire des livres : il a fallu que j'apprenne à écrire.
Je ne sais toujours pas écrire. Mais j'ai compris que l'on ne me comprenait pas. Il m'a fallu beaucoup de temps pour cela.
Qu'est-ce qui bloque ? En premier ce qui nous est enseigné à l'école. On nous dit d'être léger et elliptique. En particulier, de ne pas répéter un mot. Voilà qui ne passe pas. Le lecteur moderne a besoin de phrases courtes et les plus explicites, et répétitives, possibles. Toute la littérature classique, que l'on nous donne en modèle, est incompréhensible.
Un problème peut-être encore plus sérieux est celui de "l'autorité". On m'a enseigné que les savants, les philosophes, les artistes... avaient une "autorité". Non seulement leur parole valait démonstration, mais on était supposé les connaître. Il suffisait donc de les citer, sans aller plus loin, de crainte d'être impoli. En fait, aujourd'hui, la seule autorité qui tienne est celle du lecteur. Il se méfie de toute parole d'autorité, qui ne soit pas la sienne. (Car la parole d'autorité a été utilisée pour le manipuler ?) Il se méfie aussi des sous-entendus et des propos un peu négatifs. De peur que ce ne soit une critique voilée ? Tout ce qu'il ne comprend pas est une menace ?
On en arrive donc à la littérature journalistique anglo-saxonne. Il faut un texte aussi simple que possible, qui accroche le lecteur par ce qui l'intéresse, et qui fasse cheminer sa réflexion sans lui demander trop d'effort, mais sans profiter de son manque d'entraînement intellectuel pour lui faire avaler une couleuvre, ou, plutôt, en se méfiant de ce que ce manque d'entraînement peut lui faire croire à tort qu'on lui a fait avaler une couleuvre.
Chemin faisant, j'ai fait une découverte. Quasiment rien ne motive nos contemporains. Ils se plaignent, certes. Mais c'est uniquement pour alimenter une conversation entre amis. Au fond, nous sommes heureux.