Alors
! Soyez attentif à ne pas pratiquer par cœur. Cela ne veut pas dire
qu’il est conseillé de changer l’exercice de temps en temps. Au
contraire, l’indication donnée à Graf Dürckheim par son maître Umeji
Roshi « le chemin est la technique ; la technique est le chemin » signifie qu’il est important de toujours de nouveau reprendre exactement le même exercice.
Zazen est un rituel très précis; comme dans le Kyudo, la séquence des
huit gestes qui permettent d’encocher une flèche pour ensuite la
décocher est également un rituel très précis.
Je voudrais souligner que lorsqu’on pratique un exercice qui a ses
racines dans la tradition japonaise (ou chinoise), il faut être attentif
à la signification des mots employés et à la traduction qui en est
faite dans notre langue.
Par exemple, le mot respiration apparait comme étant au centre de toute pratique méditative.
Notre danger est d’identifier le mot respiration à ce qu’en dit l’anatomie et la physiologie dans le cadre de la médecine occidentale. Comme le disait Graf Dürckheim, « la respiration est davantage qu’une alimentation de l’homme en oxygène ».
Le concept respiration n’existait pas dans la langue japonaise
lorsque Graf Dürckheim était au Japon (1938 - 1947). Il y avait le Kanji
prononcé « KoKyu ».
La traduction la plus proche qui soit de cette expression serait "InspirationExpiration" sans intervalle, sans trait d’union et sans utiliser la conjonction « ET » !
Il m’arrive, après ces cinquantes années de pratique quotidienne, de me
poser la question d’une traduction plus proche encore de ce Kanji : "InspirerExpirer" sans intervalle, sans trait d’union et sans utiliser la conjonction « ET ». Bien des fois, lorsque je prononçais le mot "respiration", Graf Dürckheim m’interrompait pour me dire « La respiration, ça n’existe pas; quelqu’un respire ».
L’usage grammatical de l'intervalle, du trait d'union ou de la conjonction « ET
», est dû au fait que notre approche du réel, en Occident, se réalise à
travers la conscience qui objective. C’est le mental (mind) qui impose
la conjonction « ET » ; d’où un point de vue dualiste
sur le réel. C’est à ce point habituel et machinal que nous ne sommes
pas conscients de cet usage abusif de la conscience ‘’de‘’ comme seule
approche du réel.
Quelques exemples : nous disons, sans la moindre hésitation, le jour ET la nuit; le corps ET l’esprit; le conscient ET l’inconscient; le passé ET l’avenir; la cause ET l’effet; la santé ET la maladie.
C’est la conscience "de" (mind) qui oppose : l’inspiration ET l’expiration.
Mais, contrairement à notre manière de penser habituelle, la tradition
japonaise n’isole pas l’un ou l’autre de ces constituants. Parce que « KoKyu » est un système oscillant, un événement ! Parce que Inspirer est la cause et l’effet de Expirer ; parce que Expirer est la cause et l’effet de Inspirer ! Parce que le jour est la cause et l’effet de la nuit; parce que la nuit est la cause et l’effet du jour !
Si la pratique de la méditation appelée zazen a un sens pour l’homme
occidental c’est en premier parce que cet exercice nous invite à une rupture
avec notre manière d’être habituelle, notre manière de faire
habituelle, notre manière de penser habituelle; rupture avec cette
identité illusoire qu’on appelle l’ego; rupture avec la conscience-ego
qui me conduit à croire « que je suis ce que je pense que je suis ! ».
La méditation m’apprend que mon point d’appui dans l’existence n’est pas
l’ego mais ce que le maître zen appelle la vraie nature de l’être humain. Ce que Dürckheim désigne par l’expression « notre être essentiel », domaine du calme intérieur, domaine du silence intérieur, domaine de la paix intérieure.
D’accord, mais qu’est-ce que c’est ça, notre vraie nature ?
Notre vraie nature c’est … « JeSuis ! » sans
intervalle, sans trait d’union, parce qu’il n’y a, ni distance ni écart
de temps, entre ce que je nomme « Je » et ce que je nomme « Suis ».
Voici une indication, donnée par Graf Dürckheim lorsqu’il nous
accompagnait dans la pratique de la méditation de pleine attention. Elle
m’évite, chaque jour encore, de pratiquer par cœur.
« Lorsque vous méditez,
ne vous servez pas de la respiration;
servez-la ! ».
Jacques Castermane
PS : Jacques Castermane propose une
description plus détaillée de la « Méditation de pleine attention » dans
l’ouvrage de Christophe André: Méditez avec nous, éd. Odile Jacob, au chapitre "Méditer Parce que c’est l’heure" (p. 193 à 223), oct. 2017
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