Les Pêcheurs de perles en version concertante au Festival de Salzbourg

Publié le 24 août 2018 par Luc-Henri Roger @munichandco

Plácido Domingo (Zurga), Javier Camarena (Nadir),
© Salzburger Festspiele / Marco Borrelli


L'oeuvre du jeune Bizet (il n'a que 24 ans lors de la première) a été jouée pour la première fois en 1863 et avait aussitôt reçu l'appréciation d'Hector Berlioz qui trouvait la partition dotée d'un nombre considérable de beaux morceaux expressifs pleins de feu et d’un riche coloris". 
L'opéra, dont le livret fut fort critiqué dès le départ, est aujourd'hui surtout connue pour quelques morceaux souvent pratiqués en récital et qui nécessitent des chanteurs de tout premier ordre.  Et le Festival de Salzbourg ne s'y est pas trompé en invitant quatre grands noms du chant lyrique, Aida Garifullina, Javier Camarena, Plácido Domingo et Stanislav Trofimov, et en organisant un coup de théâtre: Placido Domingo qu'on ne présente plus et dont la carrière compte plus de 3900 représentations, faisait une prise de rôle en chantant pour la première fois le rôle de Zurga en scène, son 150ème rôle! Chapeau bas!
Salzbourg a privilégié à raison une version concertante pour cet opéra dont les faiblesses dramatiques sont bien connues, et misé sur la qualité des interprètes, d'autant que la question de l'âge des interprètes n'aurait pas manqué de faire sourire: comment faire passer pour crédible l'amour d'un Zurga septuagénaire, dont le concurrent et ami est un homme de quarante ans, pour une jeune femme de trente ans? Ce qui aurait pu être catastrophique pour la mise en scène de cet opéra passe plutôt bien en version concertante: Plácido Domingo a l'autorité, le rayonnement charismatique, l'imposante présence scénique pour endosser les habits du chef Zurga, et après le passage obligé par les aveuglements de la jalousie, la sagesse du renoncement. La voix s'est faite plus grave avec l'âge, et si la question du ténor baryton est sur toutes les lèvres, le grand chanteur en impose par l'énergie et la puissance de son engagement. Si dans le premier duo célèbre « Au fond du temple saint » on pourrait souhaiter plus de contraste entre les voix, on est subjugué par l'intensité indignée et l'énergie passionnée de la performance fougueuse et véhémente du chanteur madrilène au troisième acte.

Aida Garifullina (Leïla), Riccardo Minasi ,
 Mozarteumorchester Salzburg,

© Salzburger Festspiele / Marco Borrelli

On ne pouvait rêver meilleur Nadir que  Javier Camarena dont la voix et la personnalité lumineuses et solaires conviennent parfaitement pour ce rôle belcantiste, avec des aigus vibrants de clarté, fort bien définis et magnifiquement assurés. On est conquis dès les premières notes de sa romance « Je crois entendre encore » qu'il conduit avec une retenue et un sens de la nuance de la plus grande élégance. La ravissante Aida Garifullina arbore une robe bustier blanche aux motifs printaniers de fleurs blanches et roses ouvertes sur des feuillages vert tendre, extrêmement seyante, mais sans doute trop luxueuse pour le rôle d'une prêtresse voilée. La chanteuse russe séduit par l'agilité de ses vocalises, une voix pure, fluide et cristalline, plus éblouissante cependant par sa technique impressionnante que par la qualité émotionnelle de l'interprétation. 
Ricardo Minasi dirigeait l'Orchestre du Mozarteum de Salzbourg, dont il est le chef principal, et le Choeur Philharmonia de Vienne préparé par Walter Zeh. La complicité avec l'orchestre est évidente. On admire la souci de la précision et du détail dès l'introduction chantée avec verve et entrain. Ici encore la technique semble parfois préférée à la couleur et à la chaleur exotique de l'évocation. Des applaudissements nourris salueront une soirée surtout marquée par un ténor impressionnant et par le culte rendu à Plácido Domingo dont le public reconnaissant a sans doute aussi voulu saluer l'immense carrière.