Le groupe Hoba Hoba Spirit participe au Festival Gnaoua depuis 15 ans et ne raterait cet événement pour rien au monde. Rencontre avec le groupe mythique marocain qui présente également ici son dernier album intitulé “Kamayanbaghi”. Des propos recueillis par Ghizlaine Badri.
Vous êtes les enfants du pays et des habitués du Festival Gnaoua. Ressentez vous le même engouement et la même magie 15 ans après?
Essaouira est une ville particulière, et l’ambiance du festival Gnaoua est magique, et différente tous les ans. C’est quelque chose qu’il nous est difficile de décrire, Gnaoua se vit tout simplement. La place Moulay Hassan, et cette scène est extraordinaire. Nous avions commencé à jouer ici en 2003, et je me souviens avoir été très ému, car j’y avais vu quelques années auparavant ” L’Orchestre National de Barbès”, mon groupe préféré.
– Quelle a été la part de l’influence de la musique “Gnaoua” dans votre musique ou on retrouve des courants très éclectique ( Pop, Afro, Chaabi…) ?
Gnaoua c’est le symbole de l’alternatif marocain. Quand on était jeune, elle paraissait “Louche”, et du haut de nos années d’adolescence avec d’autres influences venus d’Europe, et des US, on la regardait de travers, mais au fil des ans, on se rends compte à quel point cette musique est riche au niveau rythme et mélodie. C’est très difficile de définir la part d’influence des Gnaoua, mais ils ont incontestablement été à l’origine de plusieurs influences. Une musique de 400 ans qui a résisté a tout, au fait d’être purement oral, au rejet des fois de marocains la trouvant dépassé et pas dans l’air du temps, c’est tout simplement extraordinaire (Crédits photo: Brahim Benkirane).
– En tant que groupe engagé, vous avez été l’un des premiers à évoquer les problèmes de fond sans tabou au Maroc, pourtant vous vous définissez en tant qu’apolitique…
Absolument pas. Nous avons vu trainer dans quelques interviews que nous étions apolitique, mais nous n’avons jamais déclaré cela. La musique est politique, d’être dans une société comme la notre et de défendre le droit de la liberté des corps et des esprits sur scène, est déjà une forme d’engagement.
– Est ce qu’à un moment, vous avez souhaité vous engagez politiquement ?
Non du tout. La musique est un outil et notre manière de nous exprimer. La politique est un autre métier, il faut avoir les compétences et les qualités nécessaires pour la faire, et nous, notre métier c’est la musique.
– Dans les années 90, on disait que le Maroc, c’est l’Espagne des années 70. Près de vingt ans après, quel bilan faites vous de l’évolution du pays ?
Nous avons eu de fortes déceptions. D’ailleurs l’énergie que nous avions dans les années 2000 a disparu. L’état de la scène marocaine, reflète assez bien la dérive politique. Nous sommes toujours présents, car nous aimons la musique, et sommes considérés comme des “dinosaures” des groupes marocains. En revanche, nous avons assisté pendant 10 ans a la disparition de beaucoup de groupes marocains qui ont fini par être désabusés. En 2003, il y avait une compétition entre les groupes qui était saine, je me suis même surpris à rêver d’une industrie musicale, d’une chaîne musicale au Maroc mais il y a eu un “Pshit”. Collectivement nous avons loupé un virage (Crédits photo: Hoba Hoba Spirit).
– “Kamayanbaghi” est votre dernier album en 2018. Vous l’avez d’ailleurs sorti sur YouTube, pourquoi ce choix ?
YouTube, Deezer, Spotify, Amazon. Toutes ces plateformes de streaming musical sont devenus les ” Rois” de la distribution. Les réseaux sociaux sont devenus très puissants, et pour se faire connaitre, il faut passer par ces canaux. Les CD physiques c’est terminé. Financièrement nous n’avons pas gagné beaucoup d’argent, depuis toutes ces années, mais la crise est mondiale. Nous avons eu tout de même la chance de pouvoir faire de la musique au Maroc (Crédits photo: Hoba Hoba Spirit).
– Dans ce nouvel album on retrouve des titres comme “Dégoutage”, est ce que cela reflète bien votre état d’esprit actuel ?
Nous avons toujours eu une palette d’émotions assez large. Il y a de la joie, il y a de la nervosité, de l’émotion. C’est difficile de prendre juste une chanson et de représenter l’état d’esprit de tout un album. On ne peut pas être en “Mono-émotion” comme les groupes de métal qui sont toujours énervé, ou comme un sketch comique drôle tout le temps, ou un chanteur romantique, tendre pendant plusieurs heures de concert…Dans un album, il y a toutes ces palettes d’émotions, quand je monte sur scène, je suis très heureux. Notre cahier de charge n’est pas de changer les choses, mais de faire de la musique et de se faire plaisir. C’est un médicament social qui permets de créer du lien, entre les gens (Crédits photo: Hoba Hoba Spirit).
– Il y a aussi le titre dans cet album qui parle de séparation et de déchirement.
Anouar est un membre important du groupe qui est parti vivre à l’étranger. Nous avons écrit cette chanson pour lui car il nous manque beaucoup. On se rends compte depuis les années 2000 que 50% des groupes marocains ont disparu. Je ne sais pas combien de temps le Maroc pourra s’offrir le luxe de se passer d’autant de compétences. C’est terrible ce qui se passe dans la musique au Maroc. Je me souviens dans les années 2000, et des photos de la FOL (Fédération des Oeuvres Laïques), nous étions nombreux. Aujourd’hui la scène musicale au Maroc est quasi déserte. c’est humainement triste (Crédits photo: Hoba Hoba Spirit).
Liens sur le Festival Gnaoua et sur le groupe Hoba Hoba Spirit.