Kenneth Rexroth – Miroir vide

Par Stéphane Chabrières @schabrieres

Tant que nous vivons perdus
Dans le règne de la finalité
Nous ne sommes pas libres. Je m’assois
Dans ma cabane de dix mètres carrés.
Chant des oiseaux. Bourdonnement des abeilles.
Frémissement des feuilles. Murmure
De l’eau sur les rochers.
Le canyon m’enserre.
Au moindre geste, la grenouille de Basho
Sauterait dans la mare.
Tout l’été les feuilles dorées
Des lauriers ont virevolté dans l’espace.
J’ai remarqué aujourd’hui
Qu’une feuille d’érable flottait
Sur la mare. Dans la nuit
Je reste à fixer le feu.
Je voyais autrefois des cités de feu,
Villes, palais, guerres,
Aventures héroïques
Dans les feux de camp de la jeunesse.
Je ne vois plus qu’un feu désormais.
Ma poitrine bouge tranquillement.
Les étoiles bougent là-haut.
Dans l’obscurité transparente
Un dernier tison rougeoie
Parmi les cendres.
Sur la table, il y a une peau de serpent
Desséchée, une pierre brute.

*

Empty Mirror

As long as we are lost
In the world of purpose
We are not free. I sit
In my ten foot square hut.
The birds sing. The bees hum.
The leaves sway. The water
Murmurs over the rocks.
The canyon shuts me in.
If I moved, Basho’s frog
Would splash in the pool.
All summer long the gold
Laurel leaves fell through space.
Today I was aware
Of a maple leaf floating
On the pool. In the night
I stare into the fire.
Once I saw fire cities,
Towns, palaces, wars,
Heroic adventures,
In the campfires of youth.
Now I see only fire.
My breath moves quietly.
The stars move overhead.
In the clear darkness
Only a small red glow
Is left in the ashes.
On the table lies a cast
Snake skin and an uncut stone.

***

Kenneth Rexroth (1905-1982)The Dragon and the Unicorn (1952) – The Collected Shorter Poems (New Directions, 1966)Les constellations d’hiver (La Brèche, 1999) – Traduit de l’anglais (États-Unis) par Joël Cornuault.