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Amnesty International : campagne contre le tourisme sexuel

Publié le 08 juillet 2008 par Anne-Sophie

Un peu de retard pour notre ACT’sense de la semaine, mais vous ne perdez rien pour attendre… Voilà une campagne réalisée par l’agence JWT San Juan pour Amnesty International. Elle a aussi été primée à Cannes il y a 3 semaines et j’avoue qu’en la voyant je ne peux m’empêcher d’avoir la musique de Police en tête… Roxanne… avec comme fil conducteur de cette association d’idées, la prostitution. Naturellement.

Amnesty International campagne contre tourisme sexuel

Amnesty International, JWT San Juan, US, 2008

Travail des enfants et tourisme sexuel

Cette campagne d’Amnesty International dénonce clairement le travail des enfants et le tourisme sexuel. D’après un article de Novethic paru en 2006, “il y a 10 ans, l’organisation mondiale du travail estimait que 10 à 15 % des personnes travaillant dans l’industrie du tourisme étaient mineures (chiffre probablement sous évalué). Globalement, 1 enfant sur 7 dans le monde travaille (en 2004), chiffre en légère diminution depuis 2000. 22% de ces enfants travaillent dans le secteur des services“, soulignant que “les enfants sont rarement employés directement par de grandes sociétés internationales, dans les hôtels par exemple, mais souvent par certains sous-traitants, ou plus généralement dans une économie informelle, difficilement contrôlable.”

Les enfants sont plus particulièrement exploités dans les pays pauvres où l’éducation n’offre pas de réelles perspectives non plus. “Dans des sociétés où, pour vivre décemment, peu d’opportunités s’offrent aux enfants, la tentation, pour les familles comme pour les enfants, de gagner de l’argent relativement facilement auprès d’un public solvable (les touristes), est grande” souligne toujours l’article de Thomas Sanchez.

L’exploitation sexuelle des enfants est celle qui alerte le plus les opinions publiques et qui est la plus combattue. Si le tourisme sexuel n’alerte pas que les mineurs, sachez que 10% des touristes voyagent avec comme motivation première le tourisme sexuel (chiffre datant de juin 2007 et publié par l’Organisation Mondiale du Tourisme).

Un phénomène mondial

Le tourisme sexuel apparaît en troisième position derrière la drogue et les armes en termes de commerce illégal. Domination sexuelle exercée par le biais de l’argent, cette exploitation d’êtres humains revêt de l’esclavagisme tout autant que de sombres pratiques difficilement contrôlables - mais de mieux en mieux cernées.

Sur le site du Routard, on apprend notamment que l’Asie est de loin le continent le plus touché: “la Thaïlande compte deux millions de prostitués parmi lesquels au moins 300 000 mineurs. Ce pays détient le record d’abus sexuels commis par les étrangers. Chaque année, plus de 800 000 visiteurs viennent profiter de ces jeunes Thaïs. Quant à la capitale du Cambodge, elle compte environ 15 000 prostitués, dont au moins un tiers seraient âgés de moins de 18 ans. Aux Philippines, en Malaisie et en Indonésie, l’industrie du sexe représenterait entre 2 et 14 % du PIB de chacun de ces pays. Enfin, la Birmanie, la Chine, l’Inde et le Sri Lanka présentent un profil similaire…” Les autres pays et continents ne sont pas en reste et je vous conseille vivement d’aller lire le reste de l’Etat des Lieux établi par le site du Routard.

Selon les Nations unies, il y aurait aujourd’hui 127 pays sources – principalement en Asie et en Europe de l’Est – qui fournissent un grand nombre de prostituées et 137 pays destinataires.

Amnesty International campagne contre tourisme sexuel

Un imonde trafic d’êtres humains

Pour l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), le trafic d’êtres humains est “la forme la plus menaçante de migration irrégulière en raison de son ampleur et de sa complexité croissantes, dues au fait qu’il englobe à la fois les armes, les drogues et la prostitution”. Pour l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), il s’agit de la forme de crime organisé connaissant l’expansion la plus rapide du monde.

Fin Mai, Courrier International faisait un dossier spécial sur l’essor du trafic d’êtres humains que représente le tourisme sexuel. Voici un extrait d’un article de Caroline Moorehead (accès réservé aux abonnés) m’ayant particulièrement marqué alors:

“Le seul souvenir que Nita garde du jour où des miliciens serbes l’ont arrachée de chez elle, à Pristina, pour la conduire dans un camp où ils l’ont violée est qu’il faisait froid et que le sol était couvert de neige. Elle a oublié si c’était juste avant ou après Noël 1996, l’année où les combats ont éclaté entre les forces serbes et l’Armée de libération du Kosovo. Elle a vécu tellement d’horreurs au cours de la dernière décennie que son esprit, dit-elle, est embrouillé. En 1996, Nita avait 18 ans, elle était mariée et mère d’une fillette de huit mois, et elle vivait à proximité de son père, veuf, et de sa sœur de 7 ans. Les miliciens qui sont venus la chercher ont également emmené le bébé et la fillette, et conduit son mari, Milau, ainsi que son père dans un autre camp. Pendant quatre jours, Nita a été violée à plusieurs reprises avec sept autres femmes, avant d’être embarquée dans une voiture et abandonnée près de la frontière albanaise, où elle a rejoint des milliers de personnes terrifiées fuyant les Serbes.

A Tirana, il y avait des gens prêts à venir en aide aux réfugiés. Durant les quelques semaines où elle a été hébergée chez un homme, celui-ci l’a conduite d’un camp de réfugiés à un autre à la recherche de sa famille. Mais il n’y en avait aucune trace. L’homme, raconte Nita, était gentil avec elle et l’invitait au restaurant. Si bien que le soir où il l’a conduite au bord de la mer en lui disant qu’ils allaient faire une promenade en hors-bord, elle l’a suivi de bon gré. C’est seulement quand le bateau a quitté la rive et qu’elle a vu qu’il était rempli de femmes et de jeunes filles qu’elle prit peur et commença à se débattre. Mais elle n’avait encore aucune idée de ce qui lui arrivait : elle était juste terrifiée. L’homme l’a frappée et elle a perdu connaissance. Quand elle est revenue à elle, elle était en Italie et, après un périple de sept jours, elle s’est retrouvée dans un appartement de la banlieue de Turin. Les autres femmes qui y étaient détenues lui ont appris qu’elle avait fait l’objet d’un trafic, vendue comme prostituée à un réseau de proxénètes italiens et albanais. “Si tu veux manger, tu devras travailler”, lui a dit l’une d’elles.

Pendant six ans, d’abord dans un appartement où elle était retenue prisonnière, puis dans la rue, Nita a subi des rapports sexuels chaque nuit, sept jours sur sept, avec au moins une dizaine d’hommes ; parfois, cela se passait dans des ruelles, “comme des animaux”. Lorsqu’elle ne parvenait pas à attirer suffisamment de clients, un des hommes qui dirigeaient la maison de passe la frappait. Ne parlant pas l’italien, sans papiers, ne sachant pas vraiment où elle se trouvait, Nita vivait dans la peur et l’ignorance. Elle dormait toute la journée et apprenait à ne faire confiance à personne. Sur le trottoir où elle travaillait, il y avait aussi des filles russes ; leurs proxénètes et le sien les surveillaient en permanence. Une fois, elle a essayé de s’enfuir, ce qui lui a valu d’être rouée de coups…”

La suite de ce long article ne ménageait pas les détails et l’ensemble du dossier permet de bien comprendre les tenants et aboutissant d’un tel trafic. Le sujet est complexe et il est difficile de le simplifier sans faire de raccourcis, d’autant que le concept n’a pas de définition arrêtée et qu’il n’y a pas de chiffres fiables…

D’après l’Organisation internationale du travail (OIT) entre 700 000 et 2 millions de femmes et d’enfants sont vendus chaque année à l’étranger. Un trafic alimentant une industrie dont les profits oscilleraient entre 12 milliards et 17 milliards de dollars par an.

Enfin, il est difficile de rester indifférent (!?) lorsque l’on connaît ces chiffres et que l’on saisit la dure réalité d’un tel “commerce”… c’est pourquoi, en ces temps où l’on parle tourisme responsable, il me semblait important d’insister sur cette dimension fréquemment oubliée et encore peu dénoncée du problème… D’autant que les “touristes sexuels” ont souvent le profil de Monsieur-ou-Madame-Tout-Le-Monde…

++ Pour aller plus loin ++

www.ungift.org
www.anti-slavery.org
www.ibcr.org
www.saynotoviolence.org
www.fondationscelles.org

  • L’étendue de l’exploitation sexuelle des enfants dans le tourisme, publication de l’organisation mondiale du tourisme, 2002
  • Le dernier Terra Economica et son (très bon) dossier spécial sur le tourisme: “Tourisme de masse, stop ou encore?”
  • Cf. les liens de la barre d’outil pour les agences de voyages responsables et le tourisme vert
  • Le site d’Amnesty International
  • Sur la chanson de Police: elle a été écrite en octobre 1977 à Paris et inspirée par les prostituées qu’il voyait près de l’hôtel minable du groupe qui jouait à l’époque au “Nashville club”. Le titre de la chanson viendrait du nom de l’héroïne de la pièce Cyrano de Bergerac, lu sur une vieille affiche accrochée dans le foyer de l’hôtel… Cliquez ici pour en savoir plus sur l’histoire et la signification sur cette chanson de The Police

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