I love Piaf est un de ces charmants spectacles auxquels on aime aller l’été avec des amis. Et c’est une bonne idée supplémentaire de le rendre accessible aux non francophones avec un système de surtitrage. On aura tous remarqué d’ailleurs que l’intitulé du spectacle est en anglais.
Je mettrais un bémol aux traductions qui ne m’ont pas semblé aussi riches que le texte original mais c’est très secondaire.
Le décor évoque, inévitablement, la capitale du début du XX° siècle dans son imagerie traditionnelle, avec un banc public sous un réverbère. Le cliché correspond bien à ce Paris, ville lumière, surnommé ainsi par les anglais sous Louis XIV, l’expression ne date pas d’hier … La scène est divisée en trois espaces avec au centre une sorte de podium pour l’accordéoniste, qui le soir de ma venue était Marryl Abbas. Elle joue admirablement, à la fois musicienne et comédienne.
On apprend beaucoup de choses sur la vie d’Edith Piaf dont la richesse fut une voix portant loin. J’ai été dérangée par l’équipement de l’interprète principale d’un micro HF, comme si Mtatiana manquait de voix (dans une toute petite salle …) et puis je l’ai oublié en raison de son jeu de scène très réussi et de sa voix plutôt jolie qui jamais n’imite Piaf, ce qui est une bonne chose.
Après tout on peut comprendre que chanter dix-sept chansons réclame d’être soutenue, surtout lorsqu'on est accompagné par un accordéon parce que cet instrument est puissant.
Le récital n’est pas chronologique. Les chansons ont été choisies pour donner du sens à la reconstitution des principaux moments de la vie de celle qui fut surnommée la Môme.
Il commence avec la Goualante du pauvre Jean (1954) et installe immédiatement le contexte puisqu’en argot chanter se dit goualer. La chanteuse nous annonce qu’Edith est née sur les marches du 72 rue de Belleville le 19 décembre 1915. Son partenaire de scène, Michaël Msihid, rétablira une vérité moins misérabiliste. Sa mère n’a pas accouché dans la rue mais à l’hôpital Tenon.Il n’empêche que l’enfant n’a pas eu de chance. Sa mère fut trop pauvre pour l’élever et la confia à son père, contorsionniste et antipodiste.
Mais pour l’heure nous entendons Plus bleu que tes yeux (que lui écrit et compose Charles Aznavour, son homme à tout faire, en 1951) alors que Michael tire le rideau qui découvre une vue de Belleville en noir et blanc.On enchaine avec Les amants d’un jour (musique de Marguerite Monnot qui composa beaucoup de ses grands succès) : moi j’essuie des verres, au fond d’un café … Mtatiana dévoile une sculpture et fait allusion à Kiki de Montparnasse, si célèbre au cours des Années folles (the roaring twenties, disent les anglais). Nous ne sommes décidément pas dans la chronologie puisque la chanson date, elle, de 1956, mais qu’importe !
Acceptons qu’on soit à Pigalle, en 1935, et qu’Edith s’appelle la Môme. Elle est minuscule avec son mètre 47. On aurait bien ajouté moineau tant elle est frêle mais l’expression est déjà prise. Ce sera donc La môme Piaf, encore un mot d’argot. Elle se produit sur scène pour la première fois. Et sa première chanson enregistrée sera Les mômes de la cloche, qui sera un triomphe, même si le souvenir s’en est depuis évanoui.
Jean Cocteau dira d’elle qu’elle ne chante pas l’amour, elle le gueule. Il sera son grand ami mais pour l’heure son premier admirateur est un aviateur. C’est Jean Mermoz.
Raymond Asso fera d’elle une vraie chanteuse de music hall, encore une invention française (malgré le nom anglais) et la produira dans le plus grand de l’époque, l’ABC. On apprendra plus tard que l’inventeur du terme, plus élégant que music hangar, est sans doute Joseph Oller, fondateur du Moulin Rouge, comme du Théâtre des Nouveautés, et qui fit construire l'Olympia, inaugurée le 12 avril 1893 par La Goulue.
Les paroles de Sous le ciel de Paris (1951) qui seront plus tard un énorme succès dans la reprise d’Yves Montand, permette d’insuffler un peu de légèreté au récit qui se déroule sur scène avec juste ce qu’il faut d’humour pour nous divertir. Le trio s’entend bien et une certaine joie se dégage au cours de plusieurs scènes. On est loin de la biographie pleureuse qu’on aurait pu imaginer …
Ce spectacle donne aussi l’occasion d’entendre aussi des titres peu connus et anciens comme Il n’est pas distingué (1936), une de ses premières chansons qui fait le portrait d’un certain Zidor. L’accordéoniste (1940) de Michel Emer, est un incontournable avec une musicienne comme Marryl Abbas.Edith Piaf se confronte au public de Broadway le 31 octobre 1947 sous les quolibets assassins : une chanteur réaliste y semble irréaliste et son terrible accent ne passe pas la rampe. C’est le cabaret qui la sauve du désastre. Elle y restera à l’affiche 21 semaines.
On voudrait nous faire croire que c’est elle qui chantera la première chanson de rock and roll mais c'est une adaptation, par Jean Dréjac, du standard rock américain Black denim trousers and motorcycle boots de Jerry Leiber et Mike Stoller qui sera un grand succès. Mtatiana prend la guitare électrique pour s’accompagner sur L’homme à la moto (1956).Il est par contre légitime de penser que Broadway est né de l’inspiration que les Folies Bergère ont faite au célèbre impresario et producteur américain Florenz Ziegfeld.
Ecrite en 1945 par Jacques Prévert, Les feuilles mortes sont interprétées par Piaf dix ans plus tard. Le thème colle à la tragédie que vit la chanteuse. Elle est tombée éperdument amoureuse d’un boxeur, marié et père de trois enfants, Marcel Cerdan, qu’elle avait rencontrée en 1946 et retrouvé deux ans plus tard par hasard, à New York. Il meurt dans l’avion Constellation le 27 octobre 1949. C’est en pensant à lui qu’Edith écrira elle-même les paroles de l’Hymne à l’amour (1950) que la chanteuse interprète devant nous avec les yeux noyés de larmes. Edith écrira presque une centaine de chansons.
Elle hébergera sa femme et ses enfants pendant cinq ans au 67 boulevard Lannes. Quand on l'alerte en la prévenant que l’argent s’évapore … je l’ai pas perdu, répond-elle, je sais pas ce qu’il est devenu. Alors quand il manque elle repart en tournée.
Johny tu n’es pas un ange (1953) est l’occasion d’un duo très réussi avec Michael.
On se laisse emporter par les paroles de La foule (1957) qu’elle interprète avec un simple petit châle aux motifs cachemire. Il faut à ce propos souligner que ce costume de scène est bien choisi. Une petite robe noire aurait été comment dire, trop caricaturale de l'image qu'on a d'elle.
On nous montre un aperçu des "tours de con" de la Môme qui était bien facétieuse.
Son dernier amour aura vingt ans de moins qu’elle Théo Saropo, qu’elle épousera, et qui interprétera en duo avec elle Je ne regrette rien (1960), encore une chanson écrite par Michel Emer. Cette année là Edith reçoit une ovation de seize minutes, non pas en sortie de scène, mais à son entrée. C’est du jamais vu.
Elle décède le 10 octobre 1963. Elle n’a que 47 ans. Jean Cocteau en l’apprenant, est victime d’une crise cardiaque qui l‘emporte quelques heures plus tard.
Le spectacle, on l’a deviné, est presque terminé. Mais on entendra encore Milord (1959) que la chanteuse nous demande d’accompagner avec nos la la la.
Ce sera ensuite La vie en rose (1946) avec laquelle de Gaulle fut accueilli à Moscou par l’orchestre philharmonique de Moscou parce que cet air là symbolise la France en Russie.
Et pour le rappel Padam (1951) dont la salle entière reprendra le refrain. I love Piaf est vraiment un spectacle très agréable dont on espère qu'il sera repris ultérieurement. I love Piaf
De Jacques Pessis
Mis en scène par François Chouquet
Avec Mtatiana, Jacques Pessis (Patrice Maktav ou Michaël Msihid) et à l'accordéon Auélien Noël ou Marryl Abbas
Du 13 juin au 18 août 2018
Du mercredi au samedi à 21 heures
Au Lucernaire • 53, rue Notre-Dame-des-Champs • 75006 Paris • 01 45 44 57 34