Comment trouver Ma place dans le circuit de la vie? Telle est la question existentielle que se posent les personnages et, peut-être, pourquoi pas, l'auteur elle-même de ce recueil de sept nouvelles, genre exigeant, qui décidément sied à Sabine Dormond et dans lequel elle fait merveille.
Dans Les verouillés, ses personnages se retrouvent enfermés dans le Magasin du Futur de Montrou, qui connut son heure de gloire avant de mériter son nom. Ils sont trois à y être entrés de nuit, sans pouvoir en ressortir. Il n'y a pas âme qui vive pour se rendre compte de leur enfermement.
Ils découvrent cette nuit-là ce qui, de loin, les lie entre eux. Précédemment ils auraient, en effet, pu se connaître, mais ils s'ignoraient, chacun à sa place et jouant son rôle de son côté: Espérance Bonnefoy, la bourge, Inès Perret, la serveuse et Gabriel Ducommun, le chômeur patenté.
Dans Case Management, Hubert parti à la retraite, la cheffe de Stéphanie et de Denis, c'est maintenant Louisa. Laquelle tient à ce que le guide du langage épicène soit respecté dans les traductions qu'ils effectuent. Stéphanie, écrivain à ses heures, fait tout le boulot, Denis étant son boulet inspirant.
Denis n'est apparemment pas à sa place. Pourtant lui et Stéphanie formaient jusque-là un tandem qui fonctionnait très bien, sans qu'ils en soient vraiment conscients: il faudra qu'involontairement Stéphanie soit à l'origine du départ de Denis pour que ses yeux se dessillent...
Dans Les liens du sang, le père et le frère de la narratrice, tel père tel fils en quelque sorte, ont maille à partir avec la justice en raison de leur comportement violent, si bien qu'elle ne sait plus où se mettre et que les autres se détournent d'elle, n'aimeraient vraiment pas être à sa place...
Dans Immaternelle, Camille et Alain ne parviennent pas à avoir un enfant, alors qu'ils ont tout fait pour qu'il grandisse au mieux en s'installant à la campagne, même s'il y a des mouches... Nadia, l'amie de Camille, qui fait un enfant toute seule, sans renoncer à sa carrière, n'est pas de cet avis...
Dans Rafales, le narrateur s'est mis au vert dans un chalet pour écrire: aux rafales des éléments qui, une nuit, se déchaînent, succèdent les rafales d'émotions que suscite en lui Léonie, la naufragée de l'orage qu'il a accueillie chez lui après l'avoir prise la veille pour un fantôme...
Dans Contagion, une épidémie de gastro se répand à toute allure. Comme, semble-t-il, il n'y a pas d'explication rationnelle, les divagations vont bon train: un slave, Igor, ami de la narratrice, connaissant sa bible, y voit même les signes de la proche fin des temps annoncée dans l'Apocalypse.
Dans Pygmalionne et Galaté, la légende de la mythologie grecque est inversée: la narratrice crée un personnage. A cette fin, cet écrivain convoque des candidats. Elle retient finalement celui qui lui a dit:
Je t'offre l'occasion de vérifier qui, de l'auteure ou du personnage, peut contraindre l'autre à aller où il n'a pas envie.
Le Galaté ne devrait pas être déçu de ce que lui fait apprendre sa Pygmalionne. En effet cet agnostique, cet immature, ce nanti méprisant qui ne se remet jamais en cause, cet incapable d'attachement, ce sale égoïste aura, en un jour, expérimenté le dépouillement, la charité et le pardon...
Francis Richard
Ma place dans le circuit, Sabine Dormond, 160 pages, Éditions Luce Wilquin (sortie le 16 août 2018; en Suisse, le 23 août 2018)
Livres précédents:
Aux Éditions Mon Village:
Full sentimental et autres nouvelles (2012)
Don Quichotte sur le retour (2013)
Une case de travers (2015)
Le parfum du soupçon (2016)
Chez BSN Press:
Les parricides (2017)