Le roman de Charles Foleÿ est un roman à clé dont les solutions seront d'emblée évidentes à toute personne qui connaît tant soit peu la vie du roi Louis II de Bavière. Il déplace l'action dans le temps, la romance fortement, introduit des thèmes et des artifices propres au roman noir mais ne fait en fait que répéter l'histoire du tragique destin du roi bavarois en la doublant. Les noms des personnages et des lieux reproduisent les noms et les personnages connus en les déformant à peine. le prince Ludwig est un double de Louis II, Horwig n'est autre que Richard Hornig, le personnage de la princesse Elsa s'inspire de Sophie-Charlotte en Bavière, Zunigh c'est Munich, on reconnaît le château de Berg dans celui de Werg, le régent Berthold est le régent Luitpold et Gubben est évidemment von Gudden. Plus le roman se rapproche de sa conclusion, plus il copie le récit des derniers jours du roi Louis II.
Comme ce roman n'est plus en librairie et ne se trouve que difficilement en bibliothèque ou chez les bouquinistes, j'en donne ici un assez long résumé et quelques extraits nécessairement limités. Il me paraît peu probable qu'il soit réédité et ne sera libéré des droits d'auteur qu'après 2026 .
Marcel Joran, un documentaliste français formé à l'Ecole des Chartes et musicien passionné à ses heures, fait des recherches à la bibliothèque de Göttingen pour le compte d'une revue parisienne et trompe l'ennui de ses soirées en jouant du piano et en exerçant son chant dans la chambre qu'il s'est louée dans la petite ville universitaire. Il y fait la connaissance le prince Ludwig de Mittelsbach, héritier du trône de Franconie, qui poursuit ses études à Göttingen accompagné de son précepteur, l'ennuyeux Docteur Dollinger et de son très fidèle écuyer d'honneur Horwig, un grand majordome qui lui sert de garde du corps, de valet et de chauffeur.
Dès l’abord me frappa l'étrange et prestigieuse beauté de ce prince svelte et charmant. Il n’avait pas encore dix-neuf ans et sa taille atteignait 1 m. 88. Sa démarche imposante, ses attitudes de souverain romantique n’offraient rien d’affecté. Elles semblaient naturelles. Cependant quel futur roi, désireux de garder l'incognito, aurait porté cet uniforme blanc chamarré d’or, cette cape grise et ce feutre couleur feuille morte, a larges bords et orné d’une précieuse escarboucle?
A l’étonnement que je ressentis succéda une franche admiration quand je pus contempler de plus près les traits de cette jeune Altesse. Des joues pâles mais pleine, un menton volontaire, de dessin pur et ferme, achevaient l’ovale parfait de son visage. Large et haut, le front brillait d’un éclat de neige qu'accentuaient les reflets de jais d'une chevelure brune. mollement bouclée. Un peu charnues. des lèvres aux commissures tombantes eussent trahi quelque amertume si le sourire n’eût été prompt et d’une enfantine douceur. Ce qui surtout rendait cette figure idéale, c'était la splendeur des yeux. Sous l'arcade sourcilière ils semblaient d’azur sombre. Des songes les embuaient de mélancolie. Mais ils devenaient noirs aux moindres contrariétés. Les expressions si vives, si variées, si intenses de ce regard, justifiaient l'engouement ou plutôt l’enthousiasme des dames et des demoiselles de Goettingue qui ne cessaient de s'entretenir des faits et gestes du radieux jeune homme. Folles de lui, elles le nommaient le Chevalier an Cygne, le Dieu Printemps et, plus souvent encore, l'Archange!
Le prince offre très vite son amitié à Joran auquel il se confie. Le roi son père est fort malade, il lui faut séjourner à l'étranger ou dans ses résidences alpestres pour se soigner. Entre tous les châteaux familiers, Ludwig avoue préférer celui de Werg, situé sur un lac dont une des rives est autrichienne. Le prince et le documentaliste aiment tous deux la musique et l'opéra: Ludwig a assisté à son premier opéra lorsqu'il était âgé de 16 ans, au théâtre de Zunigh, la capitale de la Franconie. Il lui fait part de son amour pour sa cousine germaine Elsa. Une solide amitié s'installe entre les deux hommes, et, au moment de se quitter, le prince promet d'appeler son nouvel ami auprès de lui à titre de lecteur et de secrétaire intime dès qu'il deviendra roi.
Max Ier, roi de Franconie vient à mourir alors que son fils séjourne en Italie et ce dernier, prévenu trop tard, ne peut assister à son inhumation, qui a eu lieu fort discrètement. Devenu roi, il envoie Horwig à Paris avec pour mission de remettre à Joran un petit paquet et de le ramener avec lui à Zunigh. Le paquet contient un anneau d'or ciselé portant une inscription "Amitié fidèle et pour toujours". Joran fait aussitôt ses bagages et Horwig le ramène en automobile à Zunigh. En chemin, Horwig met Joran au courant des affaires de la Franconie: pendant la maladie du roi Max, le pays fut dirigé par le prince régent Berthold, l'oncle de Ludwig, un seigneur que Horwig ne semble pas apprécier et qui fait le jeu de la Prusse. Il lui apprend par ailleurs que la princesse Elsa, que Ludwig souhaite épouser, a également reçu une demande en mariage de l'empereur d'Allemagne.
Lors de la cérémonie et des fêtes du sacre, Joran est présenté au Prince Berthold. A l'observer , il l' estime "envieux, perfide et méchant". L'ancien Régent se trouve en compagnie d'un médecin aliéniste prussien, le Dr Gubben qui inspire la même méfiance à Joran. Il fait aussi la connaissance de la princesse Elsa, qui lui marque une grande sympathie. Joran surprend une conversation entre Berthold et Gudden au cours de laquelle le prince interroge l'aliéniste sur son observation de son neveu. Le diagnostic du médecin est sans appel:
Mes prévisions s'affirment en diagnostic précis, - répliqua l'aliéniste avec aplomb, se frottant les mains et riant cyniquement comme à l’annonce d’une heureuse nouvelle. - Eclat des yeux d’une splendeur inquiétante. Expressions changeantes, mobilité de la physionomie en contrastes brusques de joie et de tristesse. Emotivité morbide, impulsions subites, défiances irraisonnées, goûts de rêverie, attention distraite et propos décousus, obsessions et phobies. Ces symptômes sautent aux yeux. Le cas n’est pas douteux. Vous connaissez le proverbe, Monseigneur: « Cavalier mal assis se désarçonne aisément. » Pour rompre l’équilibre, agrandir la fêlure, il suffirait d’un rien: blessure d’orgueil, déception imprévue, espoir brisé, douleur soudaine mêlée de crainte pour l’avenir. Le terrain est préparé : il n’y a qu’à semer, la vésanie germera. Ce mal est de mon ressort et le malade m’appartient! Il se débattra, mais il n’échappera pas. Tôt ou tard, je l’aurai!
Après un court séjour à Zunigh, Joran est appelé à Werg où il est chargé du classement de l'importante bibliothèque du roi. Werg se trouve sur les rives d'un lac qui comporte une île aux mille rosiers, séjour de la princesse Elsa, qui est orpheline. Le roi préfère le séjour de Werg à celui de Zunigh. Aussi y convoque-t-il le Ministre Buckler, qui avait déjà servi son père pour la gestion des affaires du pays et que le jeune roi a rappelé auprès de lui, après avoir dissout le conseil de Régence. Le Ministre von der Ghoff, qui y occupait de hautes responsabilités,vient lui offrir ses services, que le jeune roi refuse. Il éconduira de la même manière son oncle, lui faisant comprendre qu'il entend régner seul. L'oncle part outragé.
Le roi, sa fiancée et Joran deviennent vite inséparables et tout irait pour le mieux si le Prince Berthold, dont les sympathies sont prussiennes, ne complotait contre son neveu pour reprendre le pouvoir. Il organise la visite d'une vieille parente d'Elsa, sa tante et ex-tutrice, la Margrave de Wurtbourg, qui vient s'installer chez la jeune orpheline. Sa présence empêche les fiancés de se rencontrer aussi librement qu'auparavant, d'autant que cette dame se montre favorable au mariage avec l'empereur et tente d'influencer la jeune femme. Il envoie par ailleurs Gubben auprès du roi dans le but de le déstabiliser.
Un matin. Horwig alerte Joran de la disparition soudaine du roi, qui aurait la veille reçut un mystérieux message. Après avoir fouillé le château et son parc, envoyé les gondoliers inspecter le lac et compté les véhicules du parc automobile, ils finissent par apprendre d'un garde forestier que le roi lui a ordonné de lui préparer la motocyclette servant aux inspections en forêt. Ils retrouvent un bout de papier déchiré sur lequel se trouve la mention de Niderwald, une pauvre abbaye se trouvant dans un coin désolé de la Bohême et à laquelle le défunt roi Max avait fait des donations. Joran et Horwig suivent cette piste, la seule pour laquelle ils aient un indice, et se mettent en route pour Niderwald.
Arrivés près de l'abbaye, ils voient le roi en sortir en chancelant. Lorsqu'ils l'approchent, le roi s'effondre à terre sans connaissance. Ils ne parviennent pas à le ranimer mais décident de le ramener rapidement à Werg pour l'y faire soigner. Lorsque le roi reprend connaissance, mais refuse de parler de ce qui s'est passé et refuse obstinément de recevoir la princesse. Le temps passe, et, sur l'insistance de ses proches, le roi accepte de retourner avec eux à l'abbaye et de partager son terrible secret. A Niderwald, Joran, Horwig et Elsa se rendront compte de la terrible réalité: le roi Max n'est pas mort, il est vivant mais fou à lier et ressemble à un spectre vivant. Aucune guérison n'est possible. Les moines ont été chargés par Berthold et Gudden de le garder enfermé à l'abbaye et de lui apporter leurs soins. L'annonce de la mort et l'inhumation rapide du roi n'avaient été que des simulacres.
Le message secret au roi visant à l'amener à l'abbaye faisait partie du plan de Gudden pour rompre le fragile équilibre du roi, qui, avec la vision soudaine de la folie de son père, avait provoqué la brèche tant attendue. Se rendant compte de sa terrible hérédité, Ludwig s'isola encore davantage, voulut rompre son engagement avec Elsa, refusant ainsi d'avoir des héritiers qui pourraient être atteints du même mal que son père. Il conseilla à la jeune femme éplorée d'accepter la proposition de mariage de l'empereur.
Dans la seconde partie du roman, le déroulement de l'action coïncide de plus en plus avec celui des dernières années du roi Louis II, présenté comme le grand oncle de Ludwig. Dans les chapitres intitulés "Le ver est dans le fruit" et "Le mal est fait", on assiste à l'isolement progressif du roi qui sombre dans la morosité et la dépression la plus noire. Berthold et Gubben organisent alors l'enfermement du roi dans le château de Werg sous la surveillance de Gubben et de ses sbires, la proclamation de son incapacité à régner et le retour à la régence de Berthold.
Horwig, Joran et Elsa, qui a épousé l'empereur mais n'a jamais cessé d'aimer le jeune roi de Franconie, tentent d'organiser la fuite du roi qui doit rejoindre l'île aux roses et passer en territoire autrichien. Le roi tente de fuir à la nage mais Gubben veut l'en empêcher et avant de mourir plonge un stylet dans la poitrine de Ludwig. Les gondoliers qui ont récupéré le corps du roi parviennent à le ramener encore vivant à l'île aux roses, mais le roi expirera dans les bras de la femme qu'il avait tant aimée.
Joran, le narrateur du récit, raconte les derniers instants du roi:
Comme en cauchemar, je revois cette scène fantastiquement tragique. A présent, prodiguant leurs soins et leurs conseils, tous s‘empressaient, s'agitaient et parlaient ; je crois entendre encore, entrecoupés, approuvés ou contredits, les propos des serviteurs et des bateliers:
- Le Roi ne s’est pas noyé. - Quand nous l'avons recueilli dans notre barque, il semblait affaibli, mais se soutenait sur l’eau. - Ce qui l‘épuisait, c’était, à chaque brassée, le sang qu’il perdait par sa blessure. - Sans cela, il serait arrivé jusqu'à l’île. Il nage aussi bien que nous!
Soit à cause du cordial dont quelques gouttes lui humectèrent les lèvres, soit l’effet de quelque réactif, le mourant, dans un tressaillement à peine perceptible, rouvrit les yeux et nous reconnut. Une vie fuyante anima son regard d’une clarté suprême. Et ce qui restait de souffle dans ce corps exténué s’exhala en phrases à peine saisissables. Mais ceux qui les entendirent ne les oublieront jamais:
"- Encore libre, encore dans ma patrie...Entre tes bras, Elsa... Au milieu de mes amis..Je meurs heureux ! Dieu bon. . . reçois mon âme en ta miséricorde..."
Dans l‘effort même qu’il fit pour murmurer ces derniers mots, - consolation que nous n’espérions même plus! - Ludwig expira.
Des murmures coururent:
- Le pouls ne bat plus. - Ses mains se glacent et son regard s‘éteint. - Vite, le miroir devant ses lèvres. - Le miroir ne s’est pas terni...
Le régent Berthold fit à son neveu des funérailles magnifiques et y assista, accablé d'un chagrin pathétiquement mimé...