Il me faut être honnête. La grande affaire pour moi, cette année, n'était pas les élections du printemps, ce n'était pas la montée des fascismes en France et aux frontières. La grande affaire, c'était la faim d'amour, et le désir de ce visage enfin tourné vers moi qui transfigurerait ma personne et ma vie.
L'année dont parle Robin, le narrateur de Laurence Cossé, c'est l'année 1936. Le récit commence quelques mois plus tôt, à la rentrée de septembre 1935: avec quelques camarades de Stan, i.e. le collège Stanislas, il a intégré une prépa de la BJ (la boîte jèze), c'est-à-dire Verbiest dans le roman, Ginette dans la vraie vie.
Né en février 1918, Robin n'a jamais connu son père, qui l'a conçu en juin 1917, lors d'une permission, juste avant de mourir de trois balles, après être remonté au feu. Sa mère et lui vivent dans le même immeuble, rue Sédillot, que sa tante Andrée, la soeur aînée de cette dernière, son oncle Octave Duplessis et leur huit enfants.
A la BJ il fait la connaissance de Conrad, de deux ans plus âgé, qui vient de Suisse:
On avait l'impression d'avoir affaire à quelqu'un d'ouvert, d'attentif. Mais après coup on comprenait qu'il était resté sur un quant-à-soi qui le rendait en fait inaccessible, une réserve si profonde qu'aujourd'hui encore je ne peux pas prétendre l'avoir bien connu.
Les parents du jeune homme réservé sont séparés: Roland Wickaert vit en Suisse et Annemarie en Italie. Séparés est en fait une façon de dire, parce que cette dernière s'est remariée... Quoi qu'il en soit, Conrad est accueilli rue Sédillot les samedis soir et invité trois fois par mois au Racing par la tribu du VIIe arrondissement:
Je crois qu'il n'était pas insensible au charme de l'endroit, à l'impression qu'on y avait d'être loin de la ville, aux grands arbres jamais taillés, aux conversations à mi-voix, aux pistes en herbe, aux chalets normands déjà démodés qui abritaient le vestiaire et le club-house. Mais c'était le bon niveau des sportifs qui l'y intéressait surtout.
Difficile dans ces conditions pour Robin de refuser l'invitation du père de Conrad de passer huit jours à la fin de l'année avec son fils à Saint-Moritz, pour apprendre à skier. Quatre mois plus tard Conrad accepte à son tour d'aller avec Robin à Val d'Isère passer, de manière plus rustique, les vacances de Pâques qui, en 1936, tombe le 12 avril.
A Val d'Isère, son oncle Pol, a investi: il organise donc le séjour là-bas des deux amis. A l'hôtel Le Chardonnet, moins huppé que le Piz Nair de Saint-Moritz, Robin remarque une jeune fille seule, Clarie, qui semble de son âge et lui prêter plus que de l'attention: saura-t-elle rassasier sa faim d'amour? A moins que ne tombe Nuit sur la neige...
Francis Richard
Nuit sur la neige, Laurence Cossé, 144 pages, Gallimard (sortie le 16 août 2018)