Je connais Timba Bema depuis plusieurs années. L’homme est un camerounais brillant installé en Suisse depuis plusieurs années. Cadre. Et surtout artiste. Il y a quelques années, il m’avait fait parvenir un manuscrit sur un texte court que je n’avais pas pu lire. J’avoue et je le répète : je suis un lecteur lent et je ne suis pas la personne la plus indiquée pour lire des manuscrits. Je suis conscient que cette démarche souvent ponctuée par un silence gêné n’est pas convenable.
C’est donc avec intérêt que j’ai reçu ce livre, ce long poème Les seins de l’amante de Timba Bema publié aux éditions Stellamaris. Une occasion de me racheter en quelque sorte. Voilà pour les états d’âme du lecteur que je suis. Une dernière remarque concernant l’écrivain camerounais : il est slameur. Ce point a toute son importance dans le décryptage d’un texte difficile à aborder.
La couverture est belle. La forme du livre renvoie à la sophistication de Timba Bema pour qui l’a approché. Le livre est beau. On y voit les seins d’une femme dans une pénombre ou un fond ténébreux. Elle sue ou elle vient de prendre une douche. Cette nuance est importante car elle renvoie à deux réalités qui peuvent être très différentes : le bain purificateur ou l’effusion après une étreinte ardente. Le viol ou l’accord. Le champ des possibles. Naturellement, je ne lis pas la quatrième de couverture et donc je m’attends à tout en termes de sujet.
Les premières pages sont ardues. C’est un poème. Un long poème. Ou un récit. Un court récit. Ou une fiction désorganisée. Une courte fiction désorganisée. Que sais-je? Il est dit que c’est un poème.
Tout commence par une fuite. La fuite d’une femme vers les steppes du nord. Les poètes sont saoûlants avec leurs allusions indescriptibles. Les steppes du nord, c’est quoi. Que je sache, on ne trouve de steppes qu’en Russie ou en Mongolie. Passons. Elle part. C’est une question de survie.
« Et la survie en milieu hostile est un devoir qui surpasse l’amour ».Partir. On peut mettre beaucoup de chose dans ce verbe.
« S’arracher dans les cris et la douleur, pour se greffer ailleurs, dans une oasis au milieu du désert ».Partir donc. Je ne peux m’empêcher aux migrants. A ces hommes, ces femmes qui partent. Qui s’arrachent. Les uns parce qu’ils ont faim. Les uns parce qu’ils ne portent pas le bon patronyme. Les unes parce qu’elles n’ont pas la bonne orientation sexuelle. Les unes parce que la famille a été exterminée au Darfour ou à Kidal… Et l’inhumanité d’un accueil du côté des steppes du Nord qui essaie de distinguer l’arrachement légitime, juste… Pour séparer le bon grain de l’ivraie…
Tout se poursuit avec celui qui reste. Celui qui est là, sur le quai de la gare. Enferré.
« Vidée de ses passagers, de ses badauds et de ses vendeurs ambulantsQue reste-t-il à celui qui reste. Quel scénario de fuite pour esquiver l’absence ? Le fantasme. La molécule. L'arrimage au passé. La tentative de poursuite de l'amante perdue...
A regarder l’amas de verdure où avait disparu le train
Lourdement, premier virage sur le tracé qui conduirait dans les steppes u nord »
Il appartient à chaque lecteur de poursuivre cette quête avec cet homme perdu, violenté, nu. Ses errances nous donnent de sonder la solitude, la violence, l’incompréhension, l’exclusion. Il est bon d’accéder au registre des mots de Timba Bema qui propose là un texte sensible, délicat, complexe. On ne comprend pas tout. Peut être ne faut il pas tout saisir dans cette longue désillusion si ce n’est le seul désir de retrouver cette autre perdue...
Timba Bema, Les seins de l'amanteEditions Stellamaris, 2018, 62 pages
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